Interview

Quand Funk★U rencontrait Daft Punk

En 2007, Funk★U s’entretenait avec Daft Punk quelques jours avant la sortie d’Alive 2007, leur album live enregistré à Paris-Bercy. Privés de leurs masques, Thomas Bangalter et Guy-Manuel de Homem-Christo décryptaient leurs méthodes de travail, leur approche du sampling et esquissaient déjà la vision « redistributrice » de Random Access Memories. Rendez-vous le 1er mai pour une chronique à chaud de la bombe disco-funk inattendue de 2013 !

Funk★U : Daft Punk sort son deuxième album live avec Alive 2007, enregistré à Paris-Bercy. Les albums en public d’artistes electro sont plutôt rares. Pourquoi ?

Thomas Bangalter : Les albums live de musique électronique sont rares à cause de la problématique de la performance, qui vient du fait que c’est une musique principalement conçue avec des machines. On a tourné pendant trois ans, entre 1995 et 1997, et on a sorti un album live juste après cette tournée. A l’époque, on avait un concept et une manière différente d’amener le public à la musique électronique en situation live. On avait emporté notre studio sur scène, avec une quinzaine de boîtes à rythmes, une dizaine de claviers et quatre séquenceurs. On était à visages découverts dans la pénombre des salles, ou bien dans des raves, et on était plus dans un processus d’improvisation. Après cette expérience, on a eu l’impression d’avoir fait le tour de ce qu’on voulait démontrer sur scène, et on a préféré se concentrer sur le studio. En 2006, et après trois albums, un film et un dessin animé, on a voulu repenser totalement notre projet en repartant de zéro du point de la performance, de la représentation sur scène de Daft Punk, de l’idée même du concert. On a choisi d’adapter notre nouvelle vision en construisant un set-up d’un nouveau type. Le concert est devenu une présentation multimédia basée autour de la musique, une musique qui fait partie d’une scénographie précise. C’est aussi une performance d’un nouveau type car on fait dialoguer plein de morceaux de plusieurs époques à l’intérieur du même spectacle. De plus, le concert est très structuré. On n’est plus dans un processus où on improvise entre des cues. A partir du moment où on se trouve dans une théâtralité entre la réalité et la fiction, on se sent proches d’une comédie musicale. Plus qu’un concert, ce show est vraiment un spectacle, avec l’idée de show écrit avec une partition et une narration virtuelle.

Lors des rappels du concert de Bercy, des milliers de téléphones portables s’allument en même temps pour vous filmer. On a l’impression d’assister à une victoire de la technologie, comme si les robots avaient gagné…

Thomas Bangalter : On a justement décidé de sortir le concert de Bercy en CD et pas en DVD, car autour de ce spectacle, il y a une appropriation du concert par des gens qui nous ont filmé avec leurs téléphones portables, ce qui, encore une fois, était impossible au début des années 2000. Cette captation déclenchée par l’enthousiasme s’est ensuite retrouvée sur Internet via des centaines de petits films. On est encore à l’époque des premiers sampleurs, c’est sale mais avec une certaine richesse dans le manque d’information, une certaine idée du chaos qui rajoute quelque chose qui vaut toutes les captations traditionnelles qu’on aurait pu faire sur un DVD filmé avec des dizaines de caméras HD. On apprécie aussi beaucoup ce processus communautaire chez les gens qui se repassent ces petits bouts du concert entre eux.

Revenons au studio : Votre philosophie du sample a-t-elle évolué depuis vos débuts ?

Guy-Manuel de Homem-Christo : Le sampling, c’est d’abord cette idée de limite. Au début, La SP-200 ne disposait que de 2,5 secondes par pad. C’est pour ça que la musique était faite de petits bouts répétés. On n’est pas des spécialistes du sample. D’ailleurs, on ne sample plus vraiment. On allait chez les disquaires de funk, ou aux Puces. On emportait des piles de disques au hasard. On n’a jamais samplé des trucs aussi évidents que Puff Daddy, on utilisait une matière que des gens avaient inventé pour la refaçonner et la faire entrer dans notre univers. A part quelques exemples où on a pris des samples très répétitifs qu’on a réutilise de la même manière, beaucoup d’autres sont des petits bouts qui n’arrivent qu’une fois dans le morceaux. Parfois, des morceaux de funk peuvent devenir rock, et vice-versa. En plus, on nous sample aujourd’hui (Kanye West sur « Stronger » ndr). La boucle est bouclée.

Il y a aussi une part d’enfance dans la musique de Daft Punk.

Thomas Bangalter : On aime le rêve, l’imaginaire. On essaye depuis le début de créer des univers excitants qui font travailler l’imagination, la curiosité. C’est plus difficile à recréer quand on est adultes, mais on essaye de rester spontanés et simples, des qualités qu’on retrouve chez tous les enfants. Mais il faut aussi prendre en compte l’envers du décor : la simplicité apparente de notre musique ou d’un spectacle comme celui-là nécessitent beaucoup de travail, de conception et de challenges techniques qui ne sont pas du tout des jeux d’enfants.

Comment envisagez-vous l’avenir de Daft Punk ?

Thomas Bangalter : On va continuer à créer de la musique et des images. C’est une époque très excitante du point de vue de la communication et de la redistribution. L’autodestruction de l’industrie du disque enlève une grande dimension commerciale et mercantile à la musique. Bien sur, ça pose des problèmes économiques importants, mais une des conséquences positives, c’est qu’on se recentre sur les qualité artistiques de la musique. Il n’y a plus ce discours de « morceaux commerciaux », car le commerce n’existe plus. Dans notre cas, c’est : « les robots, les clips, les dessins animé, c’était du marketing pour vendre des disques ». Le marché n’existe plus non plus. Les gens sont aujourd’hui plus en mesure d’apprécier la musique au-delà de toute considération économique. Les charts ne seront plus garants sur qui aura le plus d’impact musicalement ou culturellement. On peut revaloriser la création en la sortant de l’industrie.

Propos recueillis par Christophe Geudin

Daft Punk Random Access Memories (Columbia/Sony Music). Sortie le 21 mai