Ces temps-ci, aller voir le concert d’un revenant ou d’un vétéran de la scène soul-funk équivaut souvent à tenter sa chance à la loterie. Combien de jurisprudences Mandrill, Bobby Womack ou Sir Joe Quarterman pour une désastreuse tentative de réinsertion professionnelle à la Sly Stone ou à la Don Blackman. Franchement, on pouvait craindre le pas terrible (voire le pire) pour la première venue française de Shuggie Otis, 38 ans après la sortie du cultissime Inspiration Information. Rameutés par la curiosité et sur la bonne foi d’un album redécouvert à l’aube des années 00, plusieurs centaines d’abonnés la Lettre à la fraise numéro 23 ont rempli la Bellevilloise, et ils n’ont pas été déçus.
Peu avant 21 heures, Shuggie Otis et son sextette comprenant un trio de cuivres et un clavier investissent le plancher surélevé de la scène. Fin et élancé, Otis Jr. est impeccable dans son costume de styliste gaucho, et on respire un peu mieux quand « Inspiration Information » est restituée d’entrée dans un riche arrangement cuivré. La voix est frêle et restera le maillon faible de la soirée, mais les bends sont appliqués et le groupe (excellent) joue funk-rock et dans l’esprit Sly Stonien. Shuggie Otis est néanmoins concentré et tendu. Entre chaque titre, il consulte les indications de la setlist comme s’il tentait de déchiffrer un code maya. Et lorsqu’il hésite entre sa SG et sa Strat customisée, c’est d’un regard à la Charles Manson qu’il foudroie le roadie. » Je suis à l’ouest« , explique-t-il un peu plus tard en attaquant à coup de Stratocaster un pilier de la scène en introduisant métaphoriquement « Aht Uh Mi Hed ». Ambiance…
Durant 70 minutes, Shuggie alterne blues Chicagoens et funk spatial. Entre le shuffle électrique de « Picture of Love » et une jolie version aux accents caribéens de « Sparkle City « , il dévoile quelques titres de Wings Of Love, l’album inédit qui paraîtra en avril prochain (lire l’interview que nous accordée Shuggie Otis vendredi). Le morceau-titre, un dramatique midtempo funk porté par un riff de claviers en suspensions, décolle dans un flamboyant chorus façon Ernie Isley. Splendide. « Doin’ What’s Right » conclue le set principal au bout d’une heure. La suite est plutôt western : Shuggie O. quitte la scène du mauvais côté, remonte sur l’estrade, trébuche sur un pied de micro et s’étale de tout son long devant les 4 caméras de Mezzo qui filmaient le show. Beau joueur, il regagne les coulisses en souriant, puis termine la soirée avec les clochettes tant attendues de « Strawberry Letter # 23 », le hit psyché/laidback de Freedom Flight (et son mirobolant solo en arpèges), avant d’achever l’heavy-funk de « Ice Cold Daydream » dans un fracas Hendrixien. En résumé, la voix est hésitante, mais le jeu de guitare s’autorise des instants de brillance et les versions 2012 des lost classics revisités par un excellent touring band s’en tirent avec tous les honneurs. Prochaines dates à surveiller. Shuggie’s back.
PS : il se murmure que le week-end parisien de Shuggie Otis ne soit pas terminé. Stay tuned…
SETLIST
- Inspiration Information
- Island Letter
- Trying To Get Close To You
- Happy House
- Sweetest Thang (Slow Blues in C)
- Sparkle City
- Aht Uh Mi Head
- Picture of Love (B-flat Shuffle)
- Wings of Love
- Black Belt Sheriff
- Doin What’s Right
- Strawberry Letter #23
- Ice Cold Day Dream