L’excellent site The Talkhouse dispose d’un concept original en proposant des chroniques de disques réalisées par des musiciens. Ce mois-ci, Meshell Ndegeocello, dont l’excellent Comet, Come to Me sera disponible lundi, s’est intéressée à Xscape, l’album posthume de Michael Jackson paru le 12 mai. Extraits.
« Il y a bien longtemps, j’ai eu la chance d’enregistrer dans un studio où Michael Jackson venait de travailler. Les ingénieurs du son m’avaient raconté que Michael avait besoin de place dans le studio pour danser pendant qu’il enregistrait ses parties vocales. Il devait pouvoir danser en chantant, ses mouvements faisaient partie de la chanson et l’ensemble rendait les choses plus authentiques.
J’ai adoré écouté sa musique après en avoir pris conscience et en sachant que sa musique encourageait le mouvement, qui à son tour influençait sa voix. La chose qui me frappe à l’écoute de Xscape, son deuxième album posthume de titres inédits, c’est le manque de corps, la séparation et le gouffre entre la musique et l’homme qui chante ces chansons.
Xscape contient des titres, dont quelques-uns qui remontent à 1983, que Michael a enregistré pour divers albums mais qu’il a choisi de ne pas sortir. L.A. Reid, le responsable d’Epic Records, a recruté des producteurs comme Timbaland, StarGate et Rodney Jerkins pour retravailler ces titres originaux avec un son moderne et taillé pour les radios.
J’ai d’abord écouté les versions originales de ces titres disponibles sur l’édition Deluxe de Xscape, puis lu l’histoire de ces chansons. Aucun doute, la production est superbe, mais si l’on est un fan de Michael Jackson, on peut se demander pourquoi il a choisi de ne pas sortir ces titres à l’époque. J’ai essayé de ne pas y penser en les écoutant, mais au bout du compte, et même si Michael me manque énormément, je ne pense pas que ces titres auraient dû sortir. S’il estimait qu’ils n’étaient pas à la hauteur, il en avait entièrement le droit.
“Slave to the Rhythm” retravaillée par Timbaland ressemble à un empilage de couches sur d’autres couches d’éléments qui bougent et surgissent de tous côtés dans le but de reproduire la musicalité de Michael. En toute franchise, je ne pourrais l’écouter en entier que dans une salle de gym. Je préfère la version originale de “Blue Gangsta,” une chute Invincible, le dernier album de Michael paru de son vivant. la version originale est plus intéressante avec son accordéon et ses références aux bandes originales de films de Mafia. Elle groove plus naturellement, mais au final, les cuivres sont trop voyants et me font regretter l’expertise et le soin des arrangements des anciens albums, ceux de Quincy Jones et de la section cuivres des Seawind. “Chicago” aurait dû être sur Invincible. Elle aurait peut-être mérité plus de travail, mais sa place est dans un tiroir. “Loving You,” enregistrée en 1987 pendant les séances de Bad, dégage le feeling joyeux propre à Michael, mais elle sonne très datée. La pulsion disco du premier single “Love Never Felt So Good” (produit par John McClain, du Michael Jackson estate) est (et je n’aime pas dire ça) juste triste et ne correspond pas à son titre, malgré son penchant pour les clichés. De plus, je suis persuadée que les claps ne sont pas en place entre 1:53 et 2:06.
“A Place with No Name” est la chanson qui m’attire le plus car Stargate a su capturer son essence. La ligne de basse circulaire vous emporte, et Michael chante une mélodie familière, basée sur “A Horse with No Name” d’America. C’est un titre entêtant lorsqu’on sait que Michael vivant entre le réel et le monde des rêves — les siens, peut-être, et certainement les nôtres. Michael Jackson est présent et absent à la fois, quelque part ou nulle part, sans doute pour toujours.
Dans l’ensemble, cet album est un exercice de remix, et la production est impressionnante. Néanmoins, les parties vocales semblent vieilles et datées, comme si on n’avait pas osé les retoucher, mais aussi trop moyennes pour être retravaillées, avec des ajouts de samples et d’ad-libs pour insuffler une touche de Michael Jackson à son contenu. J’ai essayé de m’y impliquer, de ressentir ce que j’éprouvais quand je découvrais une nouvelle chanson de Michael Jackson, mais j’en suis très très loin. Xscape n’ajoute rien à l’héritage de Michael.
La version originale de “Love Never Felt So Good,” co-écrite avec Paul Anka, me fait fantasmer sur les possibilités offertes à Michael Jackson s’il avait continué à simplifier sa musique et composer uniquement au piano, si on l’avait laissé être un génie musical plutôt qu’un spectacle pop. Il y a de la grâce dans ce morceau — Elle est enterrée profond, mais elle est bien là — et elle donne envie de retrouver son talent unique, son oreille, son exceptionnel coeur de musicien. Parallèlement, je me demande si Michael aurait bien vieilli, musicalement et physiquement, et si ses chansons auraient pu être plus vulnérables, plus simples et valables juste pour leur écriture. On ne le saura jamais, pour le meilleur et pour le pire. »
Meshell Ndegeocello