Il aura fallu au journaliste Ben Greenman près de quinze ans pour venir à bout de son projet de livre consacré à Sly Stone. Initialement pensé comme une biographie, le texte s’est d’abord transformé en roman avant de prendre la forme d’une autobiographie co-écrite. En 2014, Greenman avait déjà participé à la rédaction de l’autobiographie de George Clinton et ce dernier a joué un rôle déterminant pour convaincre Sly Stone de se confier. Compilé en grande partie pendant la pandémie, le texte s’appuie sur une série d’entretiens au format court, vingt à vingt-cinq minutes chacun, du fait de l’état de santé précaire du musicien, et parvient sur cette base à construire un récit passionnant, à la fois instantanés des souvenirs de Sly et plongée plus détaillée dans sa carrière. Le livre, uniquement disponible en version anglaise, est publié par Auwa Books, maison d’édition pilotée par le batteur Questlove, lequel signe son bien beau prologue et prépare actuellement un documentaire sur Sly.
Filant la chronologie, Thank You (Falettinme Be Mice Elf Again) démarre au Texas où Sly, enfant, rejoint la chorale de son église et où ses interprétations des chants liturgiques provoquent convulsions et transes dans l’assistance. On le retrouve ensuite, autour de San Francisco, chez lui, où s’affinent ses goûts musicaux, à l’école, dans les cours de musique, dans diverses salles de répétitions où il s’approprie les succès du moment et sur les ondes des radios où il se fait embaucher en tant que DJ. Puis, le livre évoque la rencontre avec les membres de son groupe, Sly and the Family Stone, tous décrits dans leur personnalité et leur jeu : Freddie Stone, à la guitare, drôle et rapide, Cynthia Robinson, à la trompette, loyale et bruyante, Larry Graham, à la basse, malicieux et versatile, Jerry Martini, au saxophone, espiègle, et le batteur Gregg Errico, toujours constant.
Sly revient sur les expérimentations de son premier album A Whole New Thing (1967), sur sa recherche de simplicité sur le second, Dance to the Music (1968), ainsi que sur les disques qu’il a principalement enregistrés seul, dans son home studio, There’s a Riot Goin’ On (1971), Fresh (1973) ou Small Talk (1974), pour lesquels il explique avoir sacrifié la technique au profit des émotions. Au fil du texte, Sly évoque aussi ses concerts les plus célèbres, Woodstock ou Isle of Wight, ainsi que des prestations moins connues comme cette première partie de Jimi Hendrix au Fillmore East en mai 1968 qui finit sur le trottoir devant la salle.
La deuxième moitié du livre consacrée à la période qui s’étend des années 1980 à aujourd’hui est tout aussi intéressante mais plus difficile à lire, tant Sly sombre dans les travers de sa vie. Il y est question des altercations qui provoquent le délitement progressif de la Family Stone, de ses conflits avec les femmes successives de sa vie, de ses démêlés avec la justice ou les impôts, et de la drogue qui ne cesse de ronger son existence. Les souvenirs sont moins précis, mais plusieurs anecdotes attachantes émergent, notamment, lorsqu’il est question des collaborations de Sly avec George Clinton, son » bébé funky « , ou de sa participation, pourtant très diminué, au festival de Coachella en 2010. Chemin faisant, on découvre un musicien surdoué, hyper créatif, sans cesse novateur, têtu et mégalomane, mais dépassé par sa gloire fulgurante et sûrement jamais remis de ses effets dévastateurs.
Pauline Guedj
Sly Stone (with Ben Greenman), Thank You (Falettinme Be Mice Elf Again), Auwa Books, 320 pages, 29,50 euros.