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Sly Stone (1943-2025)

Sylvester Stewart, alias Sly Stone, nous a quitté le 9 juin à l’âge de 82 ans. Retour sur la carrière (contrariée) d’un Titan du funk.

Adolescent, Sylvester Stewart, né le 15 mars 1943 à Vallejo (Texas), est déjà un talent en vue dans la Bay Area de San Francisco. Après avoir étudié la composition et la théorie musicale au lycée, le multi-instrumentiste intègre la station de radio KSOL en 1964 en tant qu’animateur. Son éclectisme, qui le pousse à glisser dans sa playlist James Brown, les Beatles et les précurseurs de la scène psychédélique de San Francisco lui vaut un job de producteur sur le label Autumn Records. C’est en croisant des talents aussi divers que Billy Preston, les Beau Brummels, les Mojo Men et Grace Slick, avec qui il grave le prototype de « Somebody To Love », le futur hit du Jefferson Airplane, que Sylvester Stewart entrevoit la fusion pop/psyché/soul/funk de la Family Stone. En quête de musiciens capables de jouer du rock de haut niveau en prodiguant la ferveur et l’intensité des chanteurs soul, Sly recrute son frère Freddie Stone à la guitare, sa sœur Rose aux chœurs, le batteur Greg Errico, Jerry Martini au saxophone, Cynthia Robinson à la trompette et Larry Graham à la basse. 

Avant même d’avoir enregistré son premier single, la formation mixte et multiraciale s’impose sur le circuit local. « Fin 66, quelqu’un a eu l’idée d’organiser une revue soul/R&B à l’Oakland Auditorium avec Jackie Wilson, Wilson Pickett et Bobby Monroe. Sly And The Family Stone passaient en vedette américaine. Ils ont joué un morceau intitulé « The Skate », qui était aussi une danse très populaire à l’époque. A chaque refrain, Sly hurlait « Come on, skate now ! » et tout le groupe glissait de gauche à droite en parfaite synchro. Le public était dingue ! Ils ont aussi repris « Try a Little Tenderness » d’Otis Redding. Sly chantait en jouant de l’orgue. Larry Graham était à la basse et Greg Errico aux drums. Fabuleux ! » se souvient Emilio Castillo, membre fondateur de Tower Of Power.

« Dance To the Music », « Life! », « M’Lady », « Everybody Is a Star », « Everyday People »… « Nous avons donné naissance à ces enfants tous ensemble », raconte Larry Graham en évoquant les hits sixties de la formation. Dans la Family Stone, nous étions libres de contribuer à ces chansons comme bon nous semblait. Sly ne me demandait pas de jouer ce qu’on entendait à la radio à l’époque. J’écrivais toutes mes lignes de basse, et c’était la même chose pour les parties de batterie de Greg et Freddie pour ses parties de guitare. Personne ne jouait de la guitare comme Freddie à l’époque… ». L’euphorie collective de Life (1968) et de Stand!, l’album du crossover paru trois mois après l’apparition historique de la formation à Woodstock, sera néanmoins contrebalancée par la gueule de bois de There’s A Riot Goin’ On (1971). Accro aux drogues hallucinogènes et corrompu par un entourage composé de mafieux et d’ex-taulards, l’ancien enfant de chœur se mue en bad boy. « Sly, c’était mon frère, se souvenait Bobby Womack, participant non-crédité de Riot. Mais son truc, c’était l’évasion. Son background familial était très religieux. Ses parents étaient des prêcheurs et il voulait entrer dans le business du rock’n’roll, mais Sly ne savait pas où il mettait les pieds. » Si le cauchemardesque Riot signifie l’apogée du talent de Sly, il marque aussi le début d’un déclin artistique certain. 

Fresh, qui sort deux ans après There’s A Riot Goin’ On, baigne en partie dans le cauchemar ouaté de son prédécesseur. Privée de Larry Graham et Gregg Errico, la Family Stone (qui du coup n’en est en plus une) recrute une nouvelle section rythmique composée de Rusty Allen et Andy Newmark. C’est pourtant Sly qui joue de la majorité des instruments sur les onze titres de son dernier chef-d’oeuvre. À la même époque, Sly se met à rater une série de concerts, vire les membres de la Family Stone un à un, se marie dans un Madison Square Garden à moitié vide en 1974, se fait régulièrement arrêter par la brigade des stups et disparaît de la circulation au début des années 1980. Ses apparitions en public deviennent épisodiques, pour ne pas dire inexistantes. On murmure qu’il figurerait sur la liste noire de la mafia californienne, qu’il serait recherché par plusieurs labels pour dettes impayées, ou encore qu’il serait vendeur de voitures d’occasion dans le Midwest. Blackout jusqu’en février 2006, et un retour inattendu lors de la cérémonie des Grammies, où un Sly Stone méconnaissable coiffé d’une iroquoise balbutiait le refrain de « I Want To Take You Higher », accompagné d’un backing-band all-stars composé d’Aerosmith, John Legend et Nile Rodgers. L’année suivante, une calamiteuse tournée européenne passe par l’Olympia, 34 ans après après l’unique apparition française de la Family Stone, avec en première partie Jacques Higelin à l’accordéon. La performance est pathétique, et signe les adieux scéniques du Titan de Woodstock. 

Malade et retranché dans un camping car garé en banlieue de Los Angeles, Sylvester Stewart se rappellera au monde en 2023 avec la sortie de son autobiographie Thank You (Falettinme Be Mice Elf Again), puis cette année avec l’extraordinaire documentaire de Questlove Sly Lives! « C’est avec une profonde tristesse que nous annonçons le décès de notre père bien-aimé, Sly Stone de Sly and the Family Stone. Après une longue bataille contre une maladie respiratoire et d’autres problèmes de santé sous-jacents, Sly s’est éteint paisiblement, entouré de ses trois enfants, de son ami le plus proche et de sa famille étendue. », annonce le communiqué officiel publié le 9 juin. Thank you, Sly Stone.

Tous propos recueillis par la rédaction