Sortie phare de l’édition 2015 du Disquaire Day dans la catégorie soul/funk, le double vinyl-only retraçant les concerts de Sly and the Family Stone au Fillmore East de New York en octobre 1968 est aujourd’hui disponible dans un coffret 4-CDs de 34 titres retraçant la quasi-totalité des shows. Il y 47 ans (mince !), Epic Records, le label abritant les exploits sixties de Sylvester Stewart et sa famille reconstituée, avait songé à publier cet exceptionnel témoignage scénique illustrant à point nommé l’extraordinaire dynamique des Pierrafeu du funk. À l’époque, la carrière de Sly and the Family Stone est encore fluctuante, et de surcroît écrasée par le succès du single “Dance to the Music” au détriment des trois premiers albums de la formation. Life !, paru quelques semaines en amont des concerts du Fillmore, n’atteint pas les cimes commerciales espérées par le label, qui songe alors à exploiter les bandes en public captées dans la salle de concert New-yorkaise de Bill Graham. Le succès inattendu du double-single “Everyday People/Sing a Simple Song”, paru en novembre 1968, changera la donne à la veille du triomphe Woodstockien de Stand !, le pic commercial et artistique de Sly and the Family Stone.
Live at Fillmore East traduit l’expressivité scénique d’une formation propulsée par la défenestrante section rythmique Larry Graham/Gregg Errico et les cuivres enthousiastes de Jerry Martini et Cynthia Robinson. Au-delà d’une prise de son proche de la perfection et sans retouche apparente – le premier concert s’ouvre sur un vilain larsen- les setlists varient d’un soir à l’autre alternant classiques de la première période (version exubérantes de “M’Lady”, “Are You Ready” et “Dance to the Music”) et raretés méconnues, dont une version détonante du standard « St. James Infirmary », l’ébouriffant “Won’t Be Long”, basé sur un titre de J. Leslie McFarland repris par Aretha Franklin en 1960 et surtout “We Love All (Freedom)”, titre bonus de l’édition CD 2007 de Dance to the Music et intense jam acid-rock où la guitare fuzz Hendrixienne de Freddie Stewart anticipe l’arrivée imminente de Funkadelic. L’écoute successive de ces quatre disques permet également de recenser les prises de risque d’un groupe de scène restreint par le format vinyle : les variations autour de « Color Me True » et « Are You Ready » démontrent une fantastique capacité d’improvisation, avec une prédilection pour les versions longues des late shows étirés du 4 et du 5 octobre. En leader maximo du groove colourblind, Sly Stone conduit son groupe et le public du Fillmore East aux confins du gospel, du doo-wop, de la soul extatique, du rock électrique et au bord de la transe collective au cours d’un insensé “Music Lover” qu’il ne manquera pas de rééditer l’année suivante lors du festival de Woodstock. Sly allait nous emmener higher (ailleurs ?), tellement haut qu’il n’en redescendrait plus.
Jacques Trémolin
Sly and the Family Stone Live at the Fillmore East (Sony Legacy). Coffret 4-CDs et version digitale disponibles le 17 juillet.