Après avoir expérimenté le son Motown sur Soul Flower (2012), Robin McKelle continue d’explorer la soul américaine avec Heart of Memphis, un nouvel opus enregistré dans le berceau de Stax et de Hi Records avec son groupe The Flytones et Scott Bomar, le producteur des derniers Al Green. Rencontre.
★★★★★★★★★
Funk★ U : Heart of Memphis est votre deuxième album soul. Qu’est-ce qui vous a poussé à aller dans cette direction après vos débuts jazzy ?
Robin McKelle : La soul est vraiment la musique avec laquelle j’ai grandie. Aujourd’hui, je me sens beaucoup plus moi même dans ce registre, sans doute parce que c’est la musique que je chantais quand j’avais 15 ans au lycée. A l’époque, je me produisais dans des groupes avec lesquels je reprenais les standards d’Aretha Franklin et pas ceux de Frank Sinatra. Alors pour moi, il s’agit vraiment d’un retour aux sources. Mes deux premiers albums de jazz m’ont permis de lancer ma carrière, mais avec le temps, et à force de me produire sur scène, je trouvais qu’il manquait quelque chose à ma musique : le groove… la soul, le blues et le songwriting. Petit à petit, je suis retournée à mes racines tout en essayant de ne pas perdre mes premiers fans.
Justement, comment ont réagi vos premiers fans ?
Ils m’ont dit Funk★ U ! Non, je plaisante (rires).
Je vais écrire ça…
Vous pouvez l’écrire, je m’en fous (Rires) ! Bien sûr, en cours de route, j’ai du perdre quelques fans… Parce que si vous êtes vraiment fan de big bands, vous n’aimerez probablement pas ce que je fais maintenant… Mais bon, heureusement, il y a pas mal de gens qui aiment la bonne musique et apprécient tous les styles. Si vous venez à mes concerts depuis mes débuts et que vous m’avez vu évoluer en tant qu’artiste, vous ne pouvez pas quitter la salle sans penser que je ne vais pas aller dans cette direction parce qu’à la fin du show, je me retrouve à genoux en train de chanter un blues et mettre le feu à la salle. Je commence avec « Lover Man », j’enchaîne avec quelques standards de jazz et petit à petit, j’introduis des reprises…
Pour finir sur « Cold Sweat » de James Brown ?
Exactement !
En parlant de légendes de la soul, quels sont les artistes qui vous ont influencés ?
Whitney Houston, Stevie Wonder… Donny Hathaway est probablement mon chanteur préféré, rien que pour sa voix… magnifique ! Sans parler de sa façon de jouer. J’ai la chance de bien connaître sa fille, Lalah, cette voix, c’est un cadeau du ciel ! Avez-vous vu sa performance avec Snarky Puppy ? C’est juste phénoménal.
Dans la chanson « Good Time », vous citez aussi Tina Turner…
Elle a une voix remarquable, à la fois R&B, jazz et rock. C’est aussi une vraie bête de scène, elle m’a beaucoup inspiré. En concert, elle n’arrête pas de bouger et si jamais vous venez me voir sur scène, vous verrez que moi aussi, je suis toujours en mouvement. J’adore ça.
Comment avez-vous abordé l’enregistrement de Heart of Memphis ?
Mon dernier album Soul Flower s’inspirait du son Motown des années 1960 et 1970. Pour ce nouvel album, j’étais à la recherche d’un son plus rugueux, plus roots et plus sombre. La soul de Memphis reposait entièrement sur les sensations et les émotions, c’était la soul à l’état brut, c’est ce que je voulais capturer sur cet album.
Pour cet album, vous avez fait appel au producteur Scott Bomar qui a travaillé avec Al Green et Isaac Hayes. Comment ça s’est passé ?
Au départ, j’étais un peu inquiète à l’idée de travailler avec Scott parce que j’ai connu des expériences traumatisantes avec des producteurs dans le passé. Mon groupe n’était pas très rassuré non plus et me disait : « est-ce qu’il va nous dire comment jouer ? ». Mais dès notre première rencontre, je savais qu’il serait l’homme de la situation. Pendant les séances d’enregistrements, il nous a laissé faire et intervenait toujours de manière pertinente.
Sur la chanson « Control Yourself », vous avez vraiment réussi à capturer le son de Memphis…
C’est le bébé de Scott. Au début, la démo était identique à la version de l’album, mais on s’est dit que peut-être ça sonnait trop nu-soul. On a commencé à trop réfléchir… et on a enregistré une nouvelle version qu’on a présentée à Scott. « Mais ou est donc passé le riff de guitare ? », nous a-t-il demandé. « Et la ligne de basse ? ». Ben, on l’a un peu modifiée… « Ah, c’est dommage, j’aimais bien la démo ! », nous a-t-il lancé. On lui a donc expliqué pourquoi on l’avait refaite et il nous a dit « mais non, ça ne fait pas nu-soul. Pensez à Hot Buttered Soul d’Isaac Hayes pour ce titre. » Du coup, on l’a réenregistré à nouveau. C’est dans ces moments là que l’avis de Scott s’est avéré déterminant.
Qu’est-ce qui vous a marqué durant votre séjour à Memphis ?
Avant d’entamer les sessions d’enregistrements, j’ai effectué un premier voyage afin de m’imprégner de cette ville et ressentir les choses, j’ai visité des lieux mythiques comme le musée de Stax, les studios Sun et Hi Records, rencontré des musiciens locaux et des choristes qui avaient des tonnes d’anecdotes à me raconter. C’était très émouvant et enrichissant. Sur le chemin du retour, j’ai composé la chanson « Heart of Memphis » dans l’avion et deux trois autres titres par la suite. Lorsque je suis revenue pour l’enregistrement de l’album, tous les jours en allant au studio, on passait devant le Lorraine Motel où le Dr. Martin Luther King fut assassiné. On ne peut s’empêcher d’être ému devant ce lieu chargé d’histoire.
Sur ce disque, on trouve également quelques reprises de choix comme « Don’t Let Me Be Misunderstood ». Comment les avez-vous choisies ?
J’ai commencé à reprendre « Don’t Let Me Be Misunderstood » l’an dernier sur ma tournée. J’ai toujours été attiré par ce type de chansons un peu sombres, j’adore la version de Nina Simone et celle de The Animals. Sur scène, cette reprise fonctionnait tellement bien que les gens me demandaient sans arrêt où ils pouvaient la trouver. Du coup, j’ai eu l’idée de l’inclure sur mon nouvel album et ce fut l’une des premières chanson que nous avons enregistré pour The Heart of Memphis. Ce qui est étrange car d’habitude, on enregistre toujours les reprises en dernier. On a un peu construit l’album autour de cette reprise.
Sur votre album précédent Soul Flower, vous avez enregistré un duo avec Gregory Porter. Comment l’avez-vous rencontré ?
C’était il y a environ trois ans à New York, j’écrivais des chansons avec mon complice musical Dereck et je lui parle de mon projet d’enregistrer un duo avec un autre artiste. « As-tu déjà entendu parlé de Gregory Porter ? », me demande-t-il. Je lui répond que non et je regarde des vidéos sur internet, j’étais époustouflée, quelle voix ! Puis on se rend compte qu’il se produit le soir même au club de jazz Smalls. Après une longue journée d’écriture, j’étais épuisée mais je décide de me rendre à son concert quand même. Le premier étant complet, je ne me décourage pas et je patiente au bar avec un bon verre de vin. L’heure du deuxième concert arrive enfin. Gregory fait son entrée et démarre son set a capella. En entendant sa voix, j’ai fondu en larmes, je n’arrivais pas à croire ce que j’entendais, c’était incroyable ! J’étais tellement heureuse d’avoir patienté. Après le concert, je l’ai juste salué, mais je ne me suis pas présentée en tant que chanteuse. J’ai préféré appeler mon manageur qui est basé à Paris pour lui demander de rentrer en contact avec lui et je lui ai suggéré de le faire venir en France, car je savais qu’il ferait un tabac ici. Gregory a tout de suite accepté d’enregistrer ce duo avec moi et a commencé à se produire en France avec le succès que l’on sait. C’est quelqu’un de vraiment intéressant, profond et intelligent… une sorte de géant bienveillant. La première fois que je l’ai entendu, je me suis dit : il est le Donny Hathaway de notre génération. C’est sans doute un peu exagéré de le comparer à Donny mais je ne me souviens pas d’un chanteur qui m’ait fait pleurer comme ça.
Robin McKelle Heart of Memphis (Sony), disponible en CD, vinyle et téléchargement.
Vraie évolution, sur Cd comme sur scène, même si les constantes restent la voix et l’énergie. Du coup, la palette d’émotions couverte par Robin Mckelle s’enrichie avec les différents style qu’elle aborde ; beaucoup moins jazz, toujours autant de feeling, mais aussi plus de révolte et moins de douceur. Ah oui, maintenant, quand on va voir Robin, on souhaite que la salle soit sans siège pour pouvoir bouger sur le rythme andiablé de ses chansons.