Disponible en version française le 31 octobre, The Beautiful Ones, mémoires inachevées s’articule autour de trois axes, avec pour point d’ancrage la transcription des 28 pages manuscrites rédigées par Prince sur un carnet à spirale début 2016, quelques semaines avant le fatidique 21 avril. Essentiellement centrées sur l’enfance et les années d’apprentissage de « Skipper », son background familial, l’environnement local de Minneapolis, ses premières petites amies et, au détour de sombres épisodes épileptiques, quelques apartés musicaux, dont la découverte de l’influence première de « Do Me Baby ». Agréable à défaut d’être véritablement transcendant, ce récit interrompu laisse toutefois entrevoir une progression prometteuse, tout en entraînant une inévitable frustration, comme si « When Doves Cry » ou « Let’s Go Crazy » avaient été brutalement shuntées au bout de quelques mesures…
Mais bien plus que les mots du Prince auteur, ce sont les marges de The Beautiful Ones qui constituent le grand intérêt de cette semi-autobiographie. Ces courts écrits sont d’abord enrichis par la deuxième articulation de l’ouvrage : l’introduction de Dan Piepenbring, jeune rédacteur du magazine littéraire Paris Review, retranscrit idéalement la folle genèse du projet, ses rencontres épisodiques avec son insaisissable co-auteur et l’enthousiasme débordant partagé par les deux partenaires d’écriture. Entre deux concerts australs de la tournée Piano and Microphone et une série de rendez-vous aux confins du surréalisme, Prince y déploie son irrésistible humour pince-sans-rire, tout partageant sa définition du funk : « Le funk est le contraire de la magie. Les règles, c’est ça qui compte dans le funk. »
Ces pages jubilatoires sont prolongées par le script -assez confus- de Dreams, le synopsis qui allait aboutir au film Purple Rain, et, surtout, une stupéfiante sélection iconographique. Photos de familles, bulletins scolaires, cartoons, paroles alternatives de chansons phares et, pièce maîtresse, un passionnant album-photo consacré à l’enregistrement californien de For You. On y apprend, entre autres révélations et annotations souvent hilarantes, que Prince avait décidé de conclure son premier album studio sur une reprise de… Frank Sinatra* ! C’est dans ces à-côtés illustratifs que réside la plus grande surprise de The Beautiful Ones : à rebours de ses déclarations anti-passéistes et son refus affiché de toute nostalgie, Prince avait consigné ses précieux souvenirs en archiviste consciencieux de sa propre histoire.
Prince The Beautiful Ones, mémoires inachevés édité par Dan Piepenbring. Traduit de l’anglais par Odile Demange et Jean-Philippe Guerand *** (éditions Robert Laffont). 304 pages, format : 15,8 cm × 23,2 cm, 27 euros.
* « Send in the Clowns », composée par Stephen Sondheim en 1973.