Danseuse, chorégraphe, philanthrope et membre du NPG entre 1992 et 1996, Mayte Garcia a été la compagne et épouse de Prince. Pour Funk★U, elle se souvient de ses années wild.
★★★★★★
Funk★U : Ces dernières années, vous avez renoué avec la France.
Mayte Garcia : Oui, j’organise des cours de danse orientale et des rencontres aux États-Unis et en Europe. J’étais au Maroc dernièrement, et je viens souvent en France. Je suis beaucoup venue dans votre pays avec Prince, mais les conditions étaient parfois chaotiques, et nous n’avions jamais le temps de visiter des endroits comme celui-ci – l’entretien a lieu dans les jardins du Château de Versailles, ndr. Vous imaginez Prince ici, en train de se balader dans les allées (rires) ?
Au cours des années 1990, vous avez été la témoin privilégiée des méthodes de travail de Prince. Certains collaborateurs racontent que voir enregistrer Prince en studio pouvait être plus spectaculaire que ses performances sur scène. Qu’en pensez-vous ?
Je suis tout à fait d’accord avec ça. J’ai passé un nombre incalculable d’heures à le voir créer et travailler, à chercher des sons, enregistrer ses parties vocales puis les doubler ensuite. Il passait des heures à enregistrer ses voix. Il reprenait ses parties lead des dizaines de fois. L’entendre chanter seul dans le studio était merveilleux. J’aurais voulu avoir un iPhone à l’époque pour conserver tous ces moments… Je me sens désolée pour ceux qui ne l’ont jamais vu sur scène, de la même manière que je le suis pour ceux qui n’ont pas eu la chance de le voir enregistrer en studio. C’était toujours magique, et son éthique de travail était très rigoureuse. Il savait toujours ce qu’il voulait, et quand j’ai enregistré mon album Children of the Sun avec lui, ses intentions étaient très précises. Il ne me parlait pas beaucoup entre les prises, il était toujours très directif et se contentait de m’indiquer la bonne direction à suivre.
Quelles séances d’enregistrement vous ont le plus marquée ?
Sans doute celles de Chaos and Disorder car elles ne ressemblaient pas aux autres. Prince était vraiment furieux contre sa maison de disques (Warner, ndr) et il devait terminer son contrat avec cette commande d’album. Il n’arrêtait pas de ruminer des choses comme : (prenant un air maussade) « je dois faire ce truc, mais je n’en ai pas du tout envie. » Un jour, nous étions à Miami avec Sonny T. et Michael B. pour terminer l’album, et ça l’ennuyait profondément. Il réécoutait les playbacks et il disait : « je ne veux pas bosser sur ces titres », mais il s’y est mis avec toute sa hargne, toute sa colère et ça s’entend. J’aime beaucoup cet album.
Pour un grand nombre de fans, l’année 1995 définit le sommet live de cette incarnation du NPG. Êtes-vous d’accord ?
C’était wild. Il y avait beaucoup d’intensité, d’électricité. Je pense que vous êtes toujours un meilleur performer quand vos émotions sont à vif. À ce moment-là, Prince n’était pas satisfait de son contrat avec sa maison de disques. Il se plaignait souvent en expliquant qu’à l’époque, James Brown sortait un album par mois et il se demandait pourquoi lui n’avait pas le droit de le faire. Malheureusement, ce n’était plus la même époque et il avait du mal à l’accepter. Il y avait beaucoup de frustration chez lui, et cette frustration était très perceptible en 1995. Il avait aussi à ses côtés un des meilleurs groupes de sa carrière avec Sonny Thompson, Michael Bland, Morris Hayes et Tommy Barbarella. Et je ne dis pas ça parce que j’en faisais aussi partie (rires).
Cette année-là, le NPG publie également l’album Exodus.
Oui, un grand album. Prince était très excité par ce projet. Il me disait : « Mayte, je vais sortir cet album sur un label indépendant et je vais porter un masque sur la pochette pour que personne ne me reconnaisse. » Je lui répondais : « OK, tout de que tu voudras (rires) ! » On trouve encore l’album ici ?
Non, il est épuisé depuis des années.
Vraiment ? Je me souviens que Prince avait fait un deal avec le label Edel, qui a publié Exodus et mon album en Europe, mais pas aux États-Unis. Le plus amusant, c’est qu’ils en avaient profité pour rééditer mon premier single, dont j’ai toujours eu un peu honte. Un jour, Morris Hayes est venu me voir en me disant que mon CD était sorti. Je n’étais pas au courant et j’étais mortifiée (rires).
Vous avez donné plusieurs concerts à Paris avec Prince et le NPG, dont un au Bataclan, en mai 1994, où vous avez fini le concert seins nus.
Quel souvenir ! J’avais pris l’habitude de faire du stage-diving lors des concerts. En général, on me remontait toujours rapidement sur scène. Ce soir-là, je suis resté un peu plus longtemps que d’habitude dans la fosse, et quelqu’un s’est agrippé au dos de mon haut et les bretelles de mon soutien-gorge ont craqué. À ce moment-là, je n’avais plus du tout envie de remonter sur scène, mais quelqu’un m’a hissé et je me suis retrouvée face au public avec mon haut complètement déchiré. Je me suis alors dit : « après tout, nous sommes en France, come on ! ». J’ai décidé de ne pas aller me cacher backstage et de faire comme font les françaises à la plage (rires). Prince me criait : « don’t do it, don’t do it ! », mais j’ai fini par arracher mon haut et danser topless. Un grand moment !
En tant que danseuse, aviez-vous l’occasion d’improviser sur scène ?
En général, les premiers soirs d’une tournée, les six ou sept premières chansons des concerts étaient chorégraphiées, car Prince voulait impressionner les journalistes dans la salle. En revanche, dès le deuxième soir, la setlist pouvait changer et il fallait s’adapter. Par exemple, il pouvait jouer « Peach » alors que j’étais encore en tenue de danseuse du ventre (rires). J’allais me changer en vitesse et en revenant sur scène, il me faisait ce grand sourire qui voulait dire : « Je t’ai bien eue. » Il y avait aussi beaucoup de jams lors des concerts avec le NPG, et c’était aussi mon rôle d’improviser. Par contre, je me souviens d’un soir où j’ai malencontreusement marché sur ses pédales d’effet en plein milieu d’un solo de guitare. Il l’a bien pris, heureusement (rires).
Quels sont vos projets ?
En 2010, j’ai fondé l’association Mayte Rescue, qui a pour but de venir en aide aux chiens abandonnés et dont je m’occupe toujours. Parallèlement à cela, j’ai crée le projet Love 4 One Another. C’est un projet qui évoluera sous diverses formes, mais l’idée première et de prolonger l’œuvre caritative de Prince, qui a passé beaucoup de temps à aider les autres au cours de sa carrière. Il pensait beaucoup à l’éducation musicale des enfants dans le besoin, en particulier.
je travaille également sur un livre pour enfants. Pour enfants, mais pas seulement : j’ai découvert ce genre par le biais de ma fille, et certains ouvrages sont remarquables et peuvent aussi bien s’adresser aux adultes. Enfin, je me suis aussi installée à Las Vegas l’an dernier. Là-bas, j’ai proposé l’idée d’un show autour de la musique de Prince avec quelques anciens membres du NPG. J’espère vous en dire plus bientôt.
https://mayte.com/ À lire : The Most Beautiful : Ma vie avec Prince (Talent éditions)
Propos recueillis par Christophe Geudin. Photo : Sabrina Mariez