Cinq ans après With the Music, le clavier de Jamiroquai nous embarque dans un voyage sonore en dix actes intitulé Warrior Princess. En attendant sa venue parisienne à la rentrée, il revient sur la genèse cathartique de cet album, et se souvient de ses premiers pas au sein de Jamiroquai.
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Funk★U : Comment est né le concept de ce deuxième album solo ?
Matt Johnson : Je ne voulais pas me répéter. J’ai cherché un message concret à faire passer. Et puis il y a cette chanson « Between the Devil and the Deep Blue Sea ». C’est le point de départ de ce projet. Plus qu’un message politique, c’est, à mes yeux un message plein d’humanité. Ce titre a été inspiré par le voyage entrepris par Greta Thunberg sur son petit bateau. Je regardais aux infos cette fille de seize ans qui semblait en avoir douze, et cela m’a fait penser à ma propre fille. Son courage m’a interpellé. Un homme politique a eu des mots durs sur elle, et j’ai trouvé ça indigne et je me suis dit qu’on était face au bien et au mal. Avec cette première chanson, j’avais trouvé la direction et le concept de Warrior Princess. J’ai ensuite demandé à une artiste japonaise de créer un visuel pour illustrer ce morceau. Cette peinture a également été une source d’inspiration. Et pendant l’enregistrement de l’album, un événement plus personnel et inattendu s’est produit : ma femme a du affronter un cancer assez agressif, et on se savait pas si elle allait s’en sortir. D’une certaine façon, c’est elle la « Warrior Princess ». Elle est si forte. C’est une célébration de l’esprit féminin… Je n’ai pas conçu l’album uniquement autour de ça, mais ce fut indéniablement une source d’inspiration. Mon but était de garder un esprit positif dans ma musique. Le premier titre « Old Skool Funk » donne le ton : il nous dit d’oublier nos problèmes et d’utiliser la musique comme une échappatoire.
Le premier album de Jamiroquai traitait d’écologie, et ton disque explore aussi ce thème.
Tout à fait. Je suis un gars comme les autres. Je fais de mon mieux pour protéger l’environnement. Rien n’est parfait, mais je contribue à mon niveau. Je ne suis pas un militant écologique et je ne donne aucune leçon. Je trouve encourageant de voir la nouvelle génération prendre la parole sur ces sujets. Je pense que notre génération n’a pas tellement été au rendez-vous.
Tu travailles avec plusieurs artistes sur ce disque. Comment les as-tu choisis ?
J’ai travaillé avec le groupe qui me suit en concert car ils assurent et on s’entend tellement bien. Mes collègues de Jamiroquai, Ernie McKone et Derrick McKenzie, ont également répondu présent. Ce sont des amis et on partage le même sens du groove. Il y a quelques invités : par exemple sur « Earth’s Mysteries », j’ai choisi Jeremy Stacey, un batteur en accord avec le style musical de ce titre. J’ai aimé travailler avec lui, il a même proposé de réécrire certaines parties. La plupart des parties vocales sont assurées par ma femme. J’ai réuni des gens que je connais bien et avec qui je suis habitué à travailler.
Quelle est ta définition du Cosmic Jazz, le genre que tu déclines dans Warrior Princess ?
Le Cosmic Jazz est un style qui ne cherche pas à être académique. C’est plus une question de feeling, et de ce que la musique me procure comme émotion. J’aime le jazz, mais je ne l’ai jamais étudié. Je joue juste ce que j’entends, et pour moi l’approche Cosmic Jazz me parle car il traduit une approche instinctive et intuitive de la musique.
Cette approche intuitive est celle qui a nourri la conception de ton album Live, qui au départ ne devait pas sortir en l’état..
Oui, c’est tout à fait ça. Il faut conserver une part d’improvisation, ça rend les choses plus intéressantes.
Tu as dit que Jimi Hendrix t’a influencé dans ta façon de jouer. Pour ce qui est de la composition, quels artistes t’ont inspiré ?
En tant que musicien, je peux facilement écrire de la musique chaque jour, mais le plus difficile est de composer un air qui me procure une sensation unique, qui me donne envie d’aller plus loin. Ces temps-ci, quand je suis inspiré, j’arrive à écrire une chanson assez rapidement. Je me fie surtout à mon intuition.
Quelle est la différence entre ton travail de compositeur pour Jamiroquai et les chansons que tu écris pour tes projets solos ?
En ce qui concerne Jamiroquai, Jay est vraiment le pilier, la locomotive du groupe. Quand je travaille avec lui, mon but est de donner vie à ses idées. Souvent, il me propose une base qu’il a parfois enregistrée sur son téléphone, et je lui propose des idées d’accords et d’arrangements. Pour les paroles, il lui arrive de s’isoler et de prendre du temps pour écrire. De mon côté, si j’ai une idée, je me lance et j’évite de trop réfléchir.
Tu as rejoint Jamiroquai au début des années 2000? Dans quelle mesure ton arrivée dans le groupe a changé ta vie ?
Ce fut un énorme changement pour moi. Je venais de me séparer et j’avais un bébé d’un an. Je vivais dans un petit appartement à Londres. Je travaillais beaucoup, mais l’argent ne rentrait pas et c’est à cet instant que cette tournée avec le groupe est arrivée. Je n’étais pas sûr de les suivre car je venais d’être papa. J’ai fini par me lancer et les choses ont fini par bien tourner.
Tu as également grandement contribué à la composition des titres de l’album Dynamite. Quel souvenir gardes-tu de cette première expérience avec le groupe ?
J’admire la ténacité de Jay car il ne s’arrête jamais. Il repousse ses limites sans cesse et j’ai beaucoup appris en l’observant. J’admire le fait qu’il accepte de sortir de son registre, prêt à explorer de nouvelles choses musicalement. Le fait de jouer en studio et sur de grandes scènes avec de grands musiciens m’a appris à doser mon jeu. Parfois il faut savoir ne pas trop en faire, il faut apporter sa juste contribution à une chanson. J’ai appris à concevoir et travailler un son jusqu’à ce qu’il devienne bon. Cela m’a pris du temps à apprendre comment peaufiner les sons.
Sur cet album, tu utilises un vocoder, et le rendu rappelle notamment ce que Herbie Hancock faisait avec Patrice Rushen : c’est à la fois poétique, futuriste et humain…
J’utilise un vocoder équipé d’un bypass qui permet de switcher facilement entre le chant et le vocoder. En fait, je ne me considère pas comme un grand chanteur, et en utilisant un vocoder, cela me permet de me mettre en avant tout en m’appuyant sur ma technique aux claviers.
Tu as créé une chaîne YouTube ou tu partages des tips sur la façon d’enregistrer et d’utiliser les instruments. Comment t’es venue cette idée ?
En fait c’est ma femme qui m’a poussé à le faire car je ne suis pas le type de personne à passer mon temps sur les réseaux sociaux. Je m’y suis mis en y allant à mon rythme. J’ai constaté que beaucoup de chaînes YouTube ne s’intéressaient pas aux nuances et aux détails qui font la différence lors d’un enregistrement. Je me suis pris au jeu en partageant des conseils et j’aime faire cela. Mais je ne veux en aucun cas devenir un esclave de Google en surveillant mes statistiques. Je le fais de façon simple et je tiens à garder du plaisir à le faire. Je ne veux pas tomber dans le piège de la dopamine.
Propos recueillis par Richard Lecocq
Matt Johnson Warrior Princess (Naïve/Believe). Disponible. En concert le 6 septembre à Paris (New Morning).