Rendez-vous est pris au Théâtre de la Mer à Sète, pour un concert de Trombone Shorty & Orleans Avenue. Il faut parfois faire des Kilomètres pour découvrir en live ces artistes aux rares tournées françaises, et dont la notoriété toute relative auprès du grand public limite les occasions. Mais en quelques secondes, la route est oubliée et une claque sonore vous happe : le groupe, Orleans Avenue, ouvre le concert sur « Backatown », au rock très prononcé. Bien que son surnom lui ait été donné pour son remarquable talent de tromboniste dès son plus jeune âge, Troy « Trombone Shorty » entre en scène en brandissant une trompette d’une main, son trombone de l’autre, avant de prendre place derrière son micro pour finir de dresser (ou presque) le tableau de ce multi- instrumentiste de talent.
Ce qui frappe au premier abord, c’est l’absence d’uniformité dans le « style » des musiciens. Trois d’entre eux ont l’apparence bien ancrée dans les clichés des musiciens noirs de la Nouvelle-Orléans : le sax ténor BK Jackson, le bassiste Mike Bass-Bailey, et, bien sûr, notre super star Troy Andrews. Arrêtons-nous quelques instants sur le look du bassiste : collant résille au bras droit, basse à la taille minimaliste qui disparaît presque derrière ce personnage extraverti, lunettes de soleil, bandeau, bracelets… ; un pilier scénique, il n’y a pas de doute. Pour ce qui est des trois autres musiciens, on les sent de prime abord en contre-emploi. Le batteur semble tout droit sorti d’un groupe de rock, le guitariste aurait pu être le cinquième Beatle, et le saxophoniste baryton semble avoir abandonné pour quelques heures ses lignes de code. Preuve que les préjugés ont la vie dure ! À moins que ce ne soit un message volontaire envoyé autour du monde : la Nouvelle-Orléans est métissée, et le plaisir de jouer ensemble dépasse largement l’apparence ?
Car l’osmose est là ! La combinaison de ces six musiciens donne un live détonnant. De la « fosse » du théâtre (sans doute peu habitué à voir son assemblée debout), le contact avec le groupe est immédiat. À peine à 30 centimètres de hauteur de scène séparent les plus danseurs des spectateurs. Ici, le son des cuivres est presque exclusivement acoustique. On y perd sans doute en équilibre général, mais on reçoit de pleine face une énergie surréaliste. Comment tiendront-ils un concert complet à ce rythme ? Et pourtant, les morceaux millimétrés s’enchaînent faisant la part belle aux improvisations, un « No Good Time » laissant un peu d’air dans ces rythmes soutenus. Les citations sont nombreuses (sans doute trop) mais permettent de fédérer le public autour d’airs bien connus. On se rassure de voir que le live efface la couche (clairement trop) pop du dernier album Parking Lot Symphony. Celles qui ont largement leur place, ce sont les références à la Nouvelle-Orléans, où les passages cuivres-batterie évoquent, sans équivoque, les Brass Band où Mike Bass-Bailey joue parfois le rôle du tuba.
Le show aux chorégraphies bien rodées s’achève bientôt, après un passage remarqué de Troy à la batterie : le plaisir de partager la musique de leur cœur est éclatant de sincérité. On ne doute pas une seconde de leur bonheur à parcourir les routes pour répandre la bonne musique. Heureusement, la chaleur s’échappe naturellement de ce théâtre de plein-air balayé par l’air marin. Et si cette ouverture vers la Méditerranée était un miroir de la programmation de Jazz à Sète ?
Un festival qui pourrait s’enorgueillir de laisser autant de place à la découverte, en permettant par exemple aux toulousains de The Roach d’ouvrir ce concert, pendant près d’une heure trente. Une belle soirée qui laisse un sentiment de béatitude, après que Troy et son sax ténor aient fini un ultime rappel dans la foule au travers des gradins, à distribuer checks, hugs, et colliers de perles ; sans doute pour que chacun reparte avec un bout de Nouvelle-Orléans chez lui.
Thomas Castex