Chaka Khan, Diana Ross, Zapp, Al Green, Cameo, The Isley Brothers, War, Charlie Wilson, Morris Day & The Time… Était-ce une blague, un fake ou un scam, tant l’affiche du premier festival Fool In Love, au SoFi Stadium de Los Angeles, semblait irréelle ? Au programme, 69 groupes et artistes répartis sur quatre scènes : Fool, Love, Cruisin et Bounce qui correspondent grossièrement à sweet songs, têtes d’affiche, soul 60’s et funk.
Munie d’un planning consciencieusement étudié digne d’un tableau Excel, il est temps d’appliquer les trois S : Sacrifices consentis, Souliers confortables, Souvenirs sauvegardés. El Debarge ouvre le bal en fin de matinée, avec la promesse d’entendre sur scène « I like It », « A Dream ». Hélas, le compositeur du groupe Debarge se présente avec dix minutes de retard, marmonne « All This Love », puis quitte la scène en adressant des « I love you » à la volée. Outrageous. Seule consolation, sachant que chaque artiste ne se produit qu’entre quinze et trente minutes, la crainte de performances avec une bande enregistrée est levée — afin de gagner du temps, une scène rotative permet l’installation express des musiciens.
Pas de perte de temps, il faut courir jusqu’à la scène Love pour les Jacksons. Jackie est toujours fringuant, Tito demeure l’éternel discret et Marlon joue le rôle du showman. La fratrie danse et chante (avec plus ou moins de bonheur) ses grands succès, dont « Can You Feel It », « Rock With You », « Heartbreak Hotel » et « ABC ». Retour au Bounce pour Les Pointer Sisters, emmenées par la survivante Ruth et accompagnée de ses deux nièces pour interpréter avec une belle énergie « Jump », « I’m So Excited » et « Automatic ». Les Mary Jane Girls suivent avec « All Night Long », « Candy Man » et font planer l’auditoire sur « Mary Jane » en clôture de set. Ensuite, l’illustre inconnue Trinere – quelques hits mineurs dans les années 1990 – reprend « Square Biz » de Teena Marie (?) au milieu de titres dispensables.
Décevantes, les performances vocales de The Emotions n’ont pas rendu justice à « Flowers »ni au « Boogie Wonderland » d’Earth Wind & Fire dont elles avaient assuré les chœurs. Le set ennuyeux de Con Funk Shun précède celui de Dazz Band, qui met le feu avec « Let it Whip » et « Keep it Live ». Au bout de cinq minutes d’attente vaine (pas de SOS Band, porté disparu !), direction le set des O’Jays, guidés par l’énergique Walter Williams et un Eddie Levert qui n’a pas perdu de sa superbe, même si, à l’instar des autres artistes du festival, il a passé la moitié du temps assis. « For the Love of Money » et « Love Train », curieusement bissé, retentissent, compensant l’absence de « Put Your Heads Together » ou autres « Back Stabbers ». Place à Shalamar, avec Howard Hewett et Jeffrey Daniels, mais sans la talentueuse Jody Watley. Heatwave et The Bar-Kays, sont ensuite précédés par The Isley Brothers. Leur prestation prolonge les dernières notes d’un exceptionnel « Get Up And Get Down » des Dramatics. Ronald Isley, corps fatigué mais voix intacte, fait couler les premières larmes du SoFi Stadium avec les irrésistibles « Footsteps in the Dark », « Between the Sheets » et le splendide « For the Love of You ». Dilemme (encore un) : Gladys Knight ou Cameo ? Honneur aux dames avec la chanteuse des Pips… qui ne vient pas ! On apprendra plus tard qu’elle s’était trompée de scène et perdue dans les coulisses du stade…
Outre son affiche ahurissante, le festival Fool In Love surprend par la pyramide des âges et la jeunesse de l’assistance : énormément de jeunes au mitan de leur vingtaine, latinos dans leur écrasante majorité. Un contraste avec la programmation, avec une moyenne d’âge artistique avoisinant les 75 ans au bas mot, entrainant la question de l’authenticité des groupes souvent constitués de line-ups discutables. Par exemple, celui de Cameo ne comporte aucun membre originel, Larry Blackmon étant remplacé par son fils. Par ailleurs, le choix de leurs titres joués est également hasardeux, avec « Sparkle », « She’s Strange » relevés par l’hymne « Single Life » et « Candy », morceau qui donne l’occasion à certains de déployer leurs plus beaux pas de danse ! Jouissif. Autre dilemme : Chaka Khan ou Barbara Mason ? Mauvaise pioche : Chaka Khan délivre un show paresseux et enjoint le public et ses valeureuses choristes de chanter à sa place « Through the Fire », « Ain’t Nobody » et « Tell Me Something Good ». On zappe donc sur Charlie Wilson, ex-leader de Gap Band, plutôt en forme malgré quelques pauses fauteuil, avec « Party Train » et quelques sélections plus récentes. Morris Day & The Time (feat. Jellybean Johnson et un ersatz de Jerome Benton) enchaînent « Cool », « Jungle Love », « The Bird », mais pas « 777-9311 » à notre grand désarroi. Quel set malgré tout ! Même énergie avec Tower of Power avait conclu son set sur un puissant « Soul Vaccination », et toujours un plaisir de voir Nile Rodgers & Chic, qui égrènent les tubes et ses nombreuses productions à succès. Soudain, une musique aérienne et onirique attire ensuite vers la scène de Durand Jones and the Indications : moment suspendu avec le cotonneux et sensuel « Is it any wonder? ».
Arrive le moment-phare du festival : Diva parmi les divas, Diana Ross, fait la moitié de ses 80 printemps. Intro à rallonge sur sa vie, son œuvre, interviews de proches, avec extraits vidéos de ses chansons emblématiques et de sa carrière cinématographique à l’appui. On a droit à un vrai spectacle Vegassien : toilettes de stars, orchestre au complet, choristes de haute volée, chorégraphies. La totale. Aucun tube n’a été oublié pour son public de 7 à 87 ans. Afin de ne pas mettre ces deux stars en compétition, Lionel Richie assure la meilleure prestation de ce festival : complicité avec le public, plaisanteries, anecdotes, tubes (uptempo et downtempo). Avec humour, l’ex-Commodore harangue l’assistance masculine : « Je vous vois bien à vos têtes que ça ne vous fait pas plaisir d’être là avec votre moitié. Mais soyez gracieux : mon job est de les mettre en condition, et votre job est de les ramener à la maison. So smile and enjoy ! ».
Entre ces deux performances de 90 minutes, quelques incartades nous emmènent aux sets de Kool & the Gang, War, Zapp et un Parliament/Funkadelic sans George Clinton !. Seul War comportait plusieurs membres originaux, malgré quelques versions monotones comparés aux setlists fracassantes des groupes précités. Midnight Star, la dernière formation de la journée, s’avère décevant : pas de « Midas Touch », « Engine n°9 », « Wet My Whistle » ni de « Curious », mais « Slow Jam », « Freakazoid » et « No parking On the Dancefloor » en substitut. Malgré tout, le festival Fool In Love a largement tenu ses promesses avec un public bigarré et une ambiance bon enfant, très peace and love (and music).
De notre envoyée spéciale Catwoman