À 26 ans à peine, Leon Bridges publie Coming Home, un premier album où la soul soyeuse des années 1950-1960 se conjugue avec le doo-wop. Contrairement à la grande majorité es productions du revival soul, le songwriter texan possède également un atout non négligeable : des chansons simples, directes et émouvantes. Rencontre avec un jeune artiste désireux de « porter le flambeau ».
★★★★★★
Funk★U: Qu’est ce qui peut bien pousser un jeune homme de 26 ans originaire de Fort Worth, Texas, à chanter de la soul music en 2015 ?
Leon Bridges : J’ai toujours été un grand fan de rhythm’n’blues. J’ai grandi en écoutant la musique qu’écoutaient mes parents, Sam Cooke, Otis Redding… Lorsque j’ai commencé à composer, je me suis mis en quête de ma propre voix. Un jour, j’ai écrit une chanson sur mère, « Lisa Sawyer », qu’on retrouve sur l’album. Je l’ai fait écouter à un ami et il m’a repondu que ça ressemblait à Sam Cooke. En réalité, je connaissais très peu sa musique. Je me suis donc mis à creuser, et c’est aussi à ce moment-là que j’ai trouvé ma voix. C’était en 2013, et je remarquais que très peu de gens jouaient cette musique en dehors de Raphael Saadiq. Je n’avais pas encore écouté Sharon Jones, St. Paul and the Broken Bones ou Alabama Shakes. J’ai ressenti le besoin de porter le flambeau, car personne ne touchait vraiment au doo-wop ou au côté smooth de la soul music. En général, les groupes aiment bien faire ressortir le côté funky et charismatique d’un James Brown, mais pas cette facette. J’ai donc continué à écrire et j’ai composé « Coming Home », puis le reste de l’album.
C’est donc votre voix qui vous a guidé vers la soul music.
Oui, et pour moi, cette soul smooth est le plus beau sous-genre de la soul. Celle qui date des années 1950-1960. Le R&B contemporain est trop produit. Les chansons contiennent trop d’éléments, on se sent perdu en les écoutant. Prends “It’s Growing” des Temptations (il chante) « Like a snowball rolling down the side of a snow-covered hill »… Plus personne ne chante sur des choses aussi simples ! Peut-être que les chanteurs d’aujourd’hui ont peur de paraître vulnérables alors que c’est ce qui me touche le plus dans ces chansons.
On vous compare à Sam Cooke et Otis Redding à longueur d’articles. Vous n’en avez pas un peu marre ?
(Rires). Oui, j’en ai un peu marre. C’est très flatteur, mais ça me met surtout beaucoup de pression sur les épaules. Mon timbre vocal ne ressemble pas du tout à celui de Sam Cooke. Je peux aussi écrire des chansons dans le style de Muscle Shoals, ou proche de Fats Domino… Bien sur, ma musique vient aussi du passé, mais je ne suis pas le seul dans ce cas : Nick Waterhouse, quelqu’un que j’admire beaucoup, rencontre le même genre de problème que moi en tant qu’artiste du revival soul.
C’est ce qui différencie votre musique des productions Daptone où le son passe souvent avant la chanson.
Je suis assez d’accord avec ça. Ce sont d’excellents musiciens, mais il manque quelque chose. Les musiciens qui m’accompagnent sur Coming Home ne sont pas des musiciens de séances. Ils sont capables de jouer à la perfection, mais ils sont surtout au service de ma voix sur cet album.
Vos textes sont à la fois très simples et très personnels.
C’est parce que je suis quelqu’un de très simple. Je ne réfléchis pas trop aux choses et je pense de la même manière que je compose. Pas besoin de se forcer pour écrire des choses profondes, il faut juste se laisser aller, que les choses se fassent naturellement. L’important, c’est que tout le monde puisse comprendre ce que vous racontez. Pour “Coming Home”, le titre qui ouvre l’album, je voulais que tout le monde saisisse ce que j’avais à dire dès la première phrase. C’était très important pour moi.
De la pochette à la production, tout semble vintage dans Coming Home.
Nous avons enregistré l’intégralité de l’album live et en analogique avec Joshua Block et Austin Jenkins, qui font partie de White Denim et possèdent un nombre incalculable d’instruments vintage. Ils voulaient enregistrer un album soul depuis longtemps et ils ont fini par réussir à trouver un immense loft à Fort Worth, une sorte de hangar où, m’a-t-on dit, on testait des clubs de golf. La première fois que j’y suis entré, j’ai eu l’impression d’effectuer un voyage dans le temps. Pendant les prises, je pouvais regarder les choristes dans les yeux et échanger nos énergies. C’était un moment très fort.
Vous avez donné deux concerts parisiens le mois dernier. De quelle manière adaptez-vous votre musique sur scène ?
À Fort Worth, j’avais l’habitude de chanter devant vingt ou trente personnes, parfois moins. J’étais seul avec ma guitare. Aujourd’hui, jai un super groupe autour de moi. C’est tout nouveau pour moi, je dois encore apprendre à gérer l’espace mais l’avantage, c’est que je peux désormais me concentrer sur ma voix. Je ne fais pas beaucoup de trucs flashy sur scène, j’apprends encore à devenir un bon performer. On a aussi appris quelques reprises, dont « You Don’t Have To Call » de Usher et des chansons de Lauryn Hill.
Dernière question : opérez-vous une distinction entre la soul et le funk ?
Pour moi, c’est la même chose. J’adore le funk, mais, une fois encore, je me sens plus proche du doo-wop et de la soul. Je ne sais pas si mon style s’accorderait bien au funk, mais j’aimerais essayer de me faire violence pour voir ce que ça donne. Des trucs à la Bobby Womack ou à la Roy C. Juste pour voir.
Leon Bridges Coming Home (Columbia/Sony Music). Disponible en CD, vinyle et version digitale. Concert à Paris (Trabendo) le 8 septembre.