Cinquante ans après la sortie de La Planète sauvage, la fable humaniste de René Laloux, sa bande-son signée du regretté Alain Goraguer, fait toujours l’objet d’un culte vivace chez les défricheurs sonores. Dans le long-métrage d’animation sorti sur les écrans en décembre 1973, la super-race des Draags colonise les Oms sur la distante planète Ygam. Terr, enfant converti en animal domestique par les Draags, sera appelé à mener le soulèvement des Oms pour la reconquête de leur planète. Manifeste SF à mi-chemin entre les résidus de la culture hippie et le surréalisme visuel de Terry Gilliam, La planète sauvage est présentée au festival de Cannes 1973, où elle remporte le prix spécial du jury. Œuvre du génial Roland Topor, le graphisme du dessin animé est accompagné à l’écran par un score expérimental où se rejoignent pop, funk, rock et jazz sous leurs aspects les plus planants.
D’une beauté fulgurante, les thèmes de La Planète sauvage transgressent les genres musicaux, de la même manière que Terr effectue son apprentissage de la vie en brisant les règles de sa condition d’être dominé. Une étrange alchimie se dégage des arrangements d’Alain Goraguer. Les cordes, les bois et les chœurs féminins épousent les sonorités synthétiques des clavinets et les ondes martiennes du theremin. « Deshominisation », le motif récurrent de la bande originale de La Planète sauvage, fusionne la clarté d’une mélodie new age et les guitares wah-wah poisseuses du funk. Goraguer conjugue la valse tourbillonnante des « Fusées » et le jazz-funk trépidant de « Strip Tease » et « Terr Et Medor », qui évoluent au carrefour de la blaxploitation et de la période électrique de Miles Davis. Il pratique aussi la personnalisation musicale : chaque étape de l’évolution du personnage de Terr,de l’enfant terrifié au leader de la rébellion, est marquée par l’utilisation d’un instrument précis. Les fréquences aigues de flûtes enfantines (« Le bracelet ») cèdent la place à un saxophone tenor (« Strip Tease »), puis aux hurlements de guitares saturées lors de la séquence d’extermination des Oms par les Draags (« Deshominisation II »). Trois décennies plus tard, des DJs et musiciens électroniques de renom (dont le rappeur Madlib et Air pour les climats éthérés de The Virgin Suicides) continuent d’explorer la face cachée de La planète sauvage.
On ne compte plus les versions remix et pirates d’un album qui n’a jamais bénéficié d’une véritable sortie officielle en CD. La rançon du succès pour un disque culte et complètement hors du temps. Cinquante ans après, une édition Deluxe anniversaire réexplore La Planète sauvage sous divers formats (CD simple digipack, double-vinyle noirs ou colorés et versions digitale incluant des dessins originaux de Topor). Proposée par le label italien CAM Sugar et distribuée par Decca/Universal le 22 septembre prochain, cette réédition a été réalisée à partir des bandes multipistes originales et est agrémentée de 7 morceaux inédits et de trois mix alternatifs.