À l’occasion de la sortie ce jour de Black Radio 2, le nouvel album de la Robert Glasper Experiment, le producteur/mixeur QMillion revient sur sa collaboration fructueuse avec « Rob' » et ses nombreux invités (Lalah Hathaway, Erykha Badu, Jill Scott, Snoop Dog, Norah Jones…). Interview.
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Funk★U : QMillion, peux-tu te présenter à nos lecteurs ?
QMillion : Je m’appelle Qmillion Riddim. Je suis un producteur/mixeur basé à Los Angeles depuis plus de vingt ans. J’ai fait mes classes à Minneapolis. C’est aussi là bas que j’ai commencé la musique. À l’école primaire je jouais du clavier et du saxophone. Mon frère et moi avons monté un groupe en classe de sixième. J’ai joué de la basse pour le groupe de jazz de mon lycée, et aussi du saxophone pour l’orchestre de ce même lycée. A la même époque, avec mon frère, on était également aux claviers derrière Taja Sevelle, qui d’ailleurs à signé un deal avec Prince peu après. Lors de ma deuxième année de fac à L’université du Minnesota j’ai rejoint le groupe de Jesse Johnson qui avait été guitariste de The Time et qui aujourd’hui tourne avec D’Angelo. Tous les enregistrements que j’ai fait à Minneapolis ont été produits et écrits avec Jesse Johnson.
Quel a été ton parcours professionnel avant de travailler avec Robert Glasper ?
J’ai joué pour Jesse Johnson, The Time et Billy Preston. J’ai produit et écrit des titres pour After 7, Paula Abdul, Juelz Santana, Kurupt, Brownstone, et j’ai aussi fait des bandes originales de film et de Séries TV : The Sweetest Thing (Allumeuses), The Five Heartbeats, Glee, Greek, Blue Bloods…
Quelles sont tes inspirations et les incontournables dans ta discothèque ?
J’aime tellement la musique, vous savez… J’écoute de tout : hip-hop, rap, pop, musiques électroniques, dance… Mais je dois dire que quand je n’écoute pas de musique dans un contexte de travail, je mets la musique de mes potes en mode aléatoire et je laisse tourner des heures durant.
Quand et comment as-tu connu Robert Glasper ?
J’ai rencontré Rob’ pour la première fois en 2008 à Brooklyn, lors de l’enregistrement de la partie plus électrique de Double Booked. J’ai eu le plan par le biais de Chris Dave. Je connais Chris depuis toujours, c’est à dire quand il quitta la Howard University au début des années 1990 pour venir jouer avec Mint Condition. Chris et moi avons travaillé sur de nombreux projets au fil du temps et il a réussi à convaincre Robert pour que je vienne à Brooklyn mixer le projet Double Booked.
Quel est le processus créatif sur Black Radio 2 ? Est-il finalement différent comparé au premier opus ? Peux-tu nous parler de ce son si caractéristique ?
Le processus créatif dont j’ai été témoin en studio relève du pur génie. Robert, Derek Hodge, K. C., Chris Dave, et aujourd’hui Mark Colenberg sont tous des maitres en la matière. On dirait qu’ils ont joué ensemble depuis la crèche. C’est gars ont une sensibilité, une écoute de l’autre et une ouverture à l’autre hors du commun. La grande majorité des titres que vous entendez dans les deux opus Black Radio ont été enregistré en une prise. L’énergie qui est échangée n’est jamais dupliquée car elle est fluide et sujette aux changements. En ce qui concerne ce son, Robert est un accro au hip-hop, moi de même, et j’adore ce son riche en basses très caractéristique à ce genre musical. Ces dernières années, j’ai toujours essayé d’impulser ce son chaud dans mes mix.
Combien de temps a pris le mix de Black Radio 2, mais aussi celui de Black Radio 1 ?
Les deux albums m’ont demandé environ un mois de travail chacun. Il y a beaucoup de titres sur les deux projets, sans compter les titres bonus, différents selon les zones géographiques. Je passe deux, trois semaines en studio, puis Rob’ me rejoint pendant une semaine. J’adore cette façon de faire car ça me laisse le temps d’explorer et d’expérimenter des choses. Aussi, quand tu sais que beaucoup de titres aussitôt finis sont directement envoyés aux radios, et que tes titres sont en compétition avec des chansons qui ont été enregistrées en même pas trois jours, tu n’as pas envie de bâcler ton travail ou de te sentir limité.
Tu as travaillé avec Lalah Hathaway, Erykha Badu, Jill Scott, Snoop Dog, Norah Jones, Bilal, Common, Emeli Sandé, Dwele, Anthony Hamilton, Eric Roberson, Lupe Fiasco or Ledisi ? Ont-il tous enregistré à ton studio de Los Angeles ? Quelques anecdotes ?
Travailler avec cette pléthore d’artistes talentueux et reconnus était un rêve, et avec ces deux projets c’est devenu une réalité ! Presque tous ceux qui ont participé au projet était présent lors des sessions studio, donc un jour tu as Macy Gray qui vient pendant qu’Eric Roberson est en train de finir ses prises, le jour suivant c’est au tour de Faith Evans de te mettre une claque, pendant que Common fait de même à côté… C’était monstrueux. Sur Black Radio 1 on a eu Stokley, King, Lalah et Bilal tous dans le studio chantant au même moment . Des semaines comme celles-ci n’arrivent pas tous les mois ou tous les ans ! Toutes les prises de Black Radio 2, à l’exception de deux ou trois prises vocales, ont été faites à Westlake Studio sur Santa Monica Boulevard, ici même où Thriller a été enregistré. Pour les prises voix de Snoop Dogg, je suis allé dans son studio personnel. Laissez-moi vous dire que fumer des joints avec Snoop entre deux prises fut un moment mémorable…
Quels sont tes projets maintenant ? Tu collabores avec des artistes étrangers ?
Je travaille beaucoup avec des artistes étrangers. J’ai récemment mixé le nouvel album du hollandais Bo Saris, et son single est numéro en ce moment. Il vit à Londres et son album sors l’an prochain. Il y aussi Dreamon, un rappeur norvégien, j’ai mixé le single de son album. J’ai aussi mixé le premier EP d’Hyleen Gil, une artiste neo-soul française qui travaille actuellement sur son deuxième projet que je mixerai. Je viens de finir le mix du prochain projet de Seun Kuti, qui devrait sortir l’an prochain. Je travaille beaucoup avec mon label, Unseen Lab Recordings qui d’ailleurs fête ses dix ans cette année. Je bosse sur une compilation des productions de mon Label, notamment certaines de Beenie Man, Wayne Wonder, I-Octane, E-Dee, Ms Triniti… Enfin, je suis en train de produire des titres pour une chanteuse soul/folk : Jillian Speer.
Que penses-tu de l’industrie de la musique d’aujourd’hui ? Ressens-tu cette crise ? Selon toi, Black Radio 1 et 2 sont-ils des pionniers de la musique afro-américaine, ou la base d’un genre musical novateur ?
Je pense qu’il y a du bon mais aussi du moins bon dans la musique de nos jours. Je suis content de voir que Black Radio est salué des critiques, je sens que les gens sont connectés avec la réalité organique de cette musique. Je pense que les gens ressentent encore la magie qui se dégage lorsque des musiciens s’assoient et jouent ensemble. De la vraie musique, par des vrais musiciens “real music by real musicians”. C’est peut être un peu tôt pour dire que Black Radio 1 et 2 sont pionniers ou avant-gardistes, mais ces deux albums vont certainement influencer les jeunes générations d’artistes qui suivront.
Propos recueillis par Jim Zelechowski
Robert Glasper Experiment Black Radio 2 (Blue Note/Universal). Disponible.