Paru en mai dernier, le coffret We Can’t Why Can’t We Be Friends? célèbre les 50 ans d’un des plus célèbres albums de la discographie de WAR. Récits du front avec le claviériste original Lonnie Jordan et Jerry Goldstein, manager historique d’une formation majeure de l’histoire du funk, à la veille d’un concert-évènement à Paris (New Morning) le 7 juillet.
★★★★★
Funk★U : 2025 marque le 50ème anniversaire de l’album We Can’t Why Can’t We Be Friends? Peut-on le considérer comme l’album le plus populaire de la discographie de WAR grâce à ses deux immenses hits, « Low Rider » et sa chanson-titre ?
Jerry Goldstein : Lorsque l’album The World Is a Ghetto est sorti en 1973, il a été classé numéro un aux États-Unis. Why Can’t We Be Friends est sorti deux ans plus. À l’époque, il a obtenu un certain succès, mais sur la durée, grâce aux samples et aux nombreuses reprises de « Low Rider » et « Why Can’t We Be Friends? », il est effectivement un des albums les plus reconnus de WAR.
À l’instar du coffret The World Is a Ghetto paru en 2023, l’édition Deluxe de We Can’t Why Can’t We Be Friends? présente des versions longues « making-of » de certains titres. On y découvre le processus créatif du groupe, mais aussi que vous vous amusiez beaucoup en studio.
Lonnie Jordan : Les séances de WAR étaient très fun ! Dès nos premières expériences en studio, nous avions l’impression d’être à des enfants à une fête d’anniversaire. On découvrait le plaisir et l’excitation de l’enregistrement, et nous n’avions qu’une envie lorsqu’un album était terminé : recommencer le plus vite possible. Le processus créatif était très naturel à l’intérieur du groupe, et même si nous ne savions pas comment un studio fonctionnait, Jerry nous rendait les choses faciles en tant que producteur. On arrivait, on se branchait, Jerry et l’ingénieur du son manipulaient la console et il ne nous restait plus qu’à jammer tous ensemble.
Jerry Goldstein : On passait beaucoup de temps en studio, et c’est pour cette raison que j’ai eu l’idée d’inclure ces versions making-of dans ces nouveaux coffrets. Dans le cas de « Why Can’t We Be Friends? », on découvre comment la chanson s’est développée jusqu’à sa version finale. Par ailleurs, la dernière prise que l’on entend à la fin de cette version est celle qui figure sur l’album, sans les overdubs. C’est aussi le dernier titre que nous avions enregistré lors des séances, et il a donné son nom à l’album, qui devait s’appeler au départ Smile Happy, un autre titre qui figure dans ce disque.
Cette prise making-of débute par une partie de piano de Lonnie. Était-ce le point de départ du morceau ?
Lonnie Jordan : J’ai toujours voulu être un DJ, et dans chaque titre que j’entendais à la radio, il y avait toujours une introduction pour laisser le temps au DJ de présenter la chanson. À l’époque, les chansons de WAR n’avaient pas souvent d’introduction, et en studio, j’ai eu l’idée de jouer cette partie de piano électrique au début de « Why Can’t We Be Friends? ». J’ai même fait une erreur en la jouant la première fois, mais Jerry n’en n’a pas tenu compte, car il trouvait que ça rendait le morceau encore plus organique.
« We Can’t Why Can’t We Be Friends? » est d’inspiration reggae. D’où vient cette influence dans WAR ?
Lonnie Jordan : Nous avions tout simplement l’habitude de passer du temps avec des gens qui en jouaient et qui en écoutaient. C’était aussi dans la philosophie de WAR de mélanger toutes les musiques que nous aimions comme le reggae, combiné à la musique latine, un peu de gospel, des accords jazz et tout ce qui pouvait nous influencer, y compris la country music que j’aimais beaucoup. Les quartiers de Los Angeles d’où nous venions et nos voyages étaient aussi très importants. Chacun apportait sa propre influence, et au final, on mélangeait tout ensemble, comme dans une énorme salade composée.
Selon Harold Brown (batteur original de WAR, ndr.), Bob Marley aurait également influencé par WAR pour écrire « Get Up, Stand Up ».
Lonnie Jordan : C’est vrai ! Un soir, nous jouions dans un festival et Bob Marley nous observait d’un côté de la scène. Nous étions en train de jouer « Slippin’ Into Darkness », et quelques mois plus tard, nous avons rencontré Bob, qui nous a avoué qu’il s’était inspiré des parties de cuivres pour écrire « Get Up, Stand Up ».
« We Can’t Why Can’t We Be Friends? » est aussi une des rares chansons de WAR dans laquelle chaque membre chante un couplet.
Jerry Goldstein : Il y a une raison à ça, et chaque membre du groupe répond à sa manière à la question posée dans le refrain. Par exemple, Lee Oskar (harmonica, ndr) était d’origine danoise, et il pensait que son accent scandinave lui donnait du mal à se faire comprendre. Dans la chanson, il chante : « Sometimes, I don’t speak right, but yet I know what I’m talking about » (« Parfois, je ne parle pas correctement, mais je sais de quoi je parle »).
Lonnie Jordan : Bien sûr, cette chanson parle aussi des problèmes raciaux et des gens pour qui la couleur de l’autre peut poser problème : (il chante) « The color of your skin don’t matter to me, as long as we can live in harmony » (« la couleur de ta peau ne me pose pas de problème tant que nous pouvons vivre en harmonie »).
Jerry Goldstein : L’origine de « Why Can’t We Be Friends? » est amusante. Nous étions en tournée au Japon et un soir, nous étions à la recherche d’un restaurant de sushis ou d’un endroit où nous pourrions trouver du bœuf de Kobe. Nous avions essayé de demander le chemin d’un restaurant à tous les gens qu’on croisait dans la rue, mais dès que nous approchions, ils changeaient de trottoir. C’est là qu’est né le concept de « Why Can’t We Be Friends? », car ces personnes essayaient de nous éviter, comme si elles avaient peur de nous.
Lonnie Jordan : Si vous aviez été là ce soir-là, vous auriez eu peur aussi (rires) ! On avait des afros énormes et on aurait dit qu’on revenait d’un champ de bataille. Notre look était plutôt louche, le look de types de Compton ou de Long Beach, d’où nous venions…
Jerry Goldstein : Quelques jours plus tard, nous avions donné un concert au Japon, et il y avait eu un problème technique avant le show. Il y avait du retard et le public a commencé à s’impatienter. En leur demandant de se calmer un peu, nous nous sommes rappelés de cette idée de « Why Can’t We Be Friends? », et le groupe a écrit la chanson dans la loge. C’était peut-être en décembre, et la chanson a été enregistrée en studio quelque semaines plus tard, vers janvier-février.
En juillet 1975, « Why Can’t Why Can’t We Be Friends? » a été envoyée dans l’espace par la NASA. Qui avait eu cette idée ?
Lonnie Jordan : Probablement quelqu’un de la NASA, car c’était à l’occasion de la première mission spatiale commune entre les États-Unis et la Russie (la mission Apollo-Soyouz, le 15 juillet 1975, ndr.). Pour symboliser ce rapprochement, quelqu’un avait eu l’idée de faire écouter à l’autre équipage des chansons de son pays et « Why Can’t We Be Friends? » avait été choisie, avec une chanson country de Conway Twitty. J’avais regardé la retransmission chez moi, avec une bouteille de gin, et c’était complètement hallucinant. J’ai toujours été fasciné par l’espace et tout ce qui pouvait se passer derrière la Lune, les étoiles, le soleil et dans tout l’univers, et je n’arrivais pas à croire que j’étais en train de voyager dans le cosmos grâce à cette chanson !
« Low Rider » est un autre grand succès de WAR inclus dans cet album. Comment est née cette chanson culte ?
Jerry Goldstein : Le point de départ de « Low Rider » est une jam de 45 minutes que j’avais appelé « Harold and Charles », car Harold Brown (batteur, ndr.) et Charles Miller (saxophone, ndr.) se répondaient entre eux lors de cette improvisation. Dans ces 45 minutes, il y en avait les huit qui constituaient la base de « Low Rider ». Après la séance, j’ai donné à chaque membre du groupe une cassette pour qu’ils puissent travailler chacun de leur côté. Le lendemain, Charles Miller est arrivé au studio dans sa Chevrolet Valet de 1951, un modèle de type Lowrider (une voiture à suspension basse inspirée de la culture chicano des années 1940, ndr.), avec une idée de chanson qui faisait : (sur la mélodie de « Low Rider », ndr.) « if you want to do it right, do it in the morning. » Je lui ai répondu que ça n’allait pas passer, puis nous nous sommes mis à écrire, et puisque les membres du groupe aimaient tous les Lowriders, c’est devenu le sujet de la chanson. Tout le monde a apporté sa contribution, nous nous sommes retrouvés avec plus de vingt lignes de textes qu’on peut entendre dans les bonus de ce coffret. J’ai ensuite édité la chanson à trois minutes et c’est devenu un immense hit.
Lonnie Jordan : La téquila avec un ver à l’intérieur de la bouteille y aussi beaucoup contribué (rires) ! Nous étions jeunes et dingues…
Lonnie, vos parties de clavier font partie des éléments essentiels de la musique de WAR. Quels sont les titres les plus emblématiques du groupe portant votre signature ?
Lonnie Jordan : À l’époque, j’avais acheté un piano/clavier électrique Rocky Mount Instruments qui venait tout juste de sortir et je l’ai essayé sur « The Cisco Kid » et ça à tout de suite fonctionné. Je l’ai utilisé ensuite sur pas mal de titres, dont « Why Can’t We Be Friends? », jusqu’au jour où j’ai littéralement pété les plombs. J’étais jeune et stupide, et j’ai décidé de soulever le clavier, puis de le jeter par terre et me mettre à danser dessus. Tous les composants se sont mis à voler en éclats, et j’ignorais que c’était un modèle très rare qu’on ne pouvait pas remplacer. Je crois que j’étais le seul à en posséder un avec Stevie Wonder. Tellement idiot…
On raconte aussi que vous auriez inspiré « Spill the Wine », le premier single d’Eric Burdon & War, en renversant une bouteille de vin sur une console d’enregistrement.
Lonnie Jordan : Je confirme !
Jerry Goldstein : Nous enregistrions notre premier album avec Eric Burdon dans le studio de Wally Heider, à San Francisco, le même endroit où Creedence Clearwater Revival avaient enregistré tous leurs hits. Nous étions sur la route depuis neuf mois et tous les titres étaient prêts à enregistrer en quatre ou cinq jours. Le vendredi soir, Lonnie renverse un verre, ou une bouteille de vin, sur la console sans rien dire à personne. Quelques minutes plus tard, la console se met à fumer, et c’est ce qui a donné l’idée de la chanson à Eric, que nous avons finalement enregistrée dès le lendemain dans le tout nouveau studio de Wally Heider.
Lonnie Jordan : Après tout, j’ai peut-être eu tort de m’en vouloir d’avoir bousillé cette console (rires) !
La carrière de WAR peut être résumée en trois étapes distinctes, avec les débuts en compagnie d’Eric Burdon, la période « classique » des années 1970, puis les différentes incarnations du groupe à partir des années 1980. De quelle manière considérez-vous l’évolution de WAR à travers les décennies ?
Jerry Goldstein : WAR est un groupe dont les membres ont changé en permanence depuis sa création. Eric Burdon a choisi de partir en premier. Au départ, il y avait aussi un autre bassiste avant l’arrivée de B.B. Dickerson, puis B.B. et Charles Miller sont décédés, suivis par Papa Dee Allen (percussions, ndr.) dans les années 1980. Le line-up a ensuite évolué constamment depuis le début des années 1990. Certains membres sont partis pour mener des carrières solo, d’autres n’ont tout simplement plus eu envie de continuer. Dans la formation actuelle de WAR, certains musiciens sont là depuis trente ou quarante ans, et ce groupe est fantastique.
Lonnie Jordan : Il y a eu tellement de monde dans WAR. On peut aussi ajouter à la liste le saxophoniste Pat Rizzo, qui venait de Sly and the Family Stone, Luther Rabb, qui avait chanté avec Santana et le saxophoniste Rick Brown…
Jerry Goldstein : Depuis longtemps, le public connait la musique de WAR sans nécessairement connaître ses membres.
Lonnie Jordan : Le public a aussi du mal à catégoriser notre musique car elle est si variée. Parfois, on trouve encore nos disques dans la section rock, mais aussi dans les rayons gospel, jazz, reggae, musique latine… C’est cette diversité que le public apprécie dans WAR. « Galaxy » a été numéro un en Europe et à Paris. Il était considéré à l’époque comme un titre disco, mais on faisait déjà la même chose dans « Me and My Baby Brother », dont le beat et la pulsation allaient se retrouver dans le disco quelques années plus tard.

(De gauche à droite) : Lonnie Jordan, Charles Miller, Jerry Goldstein, Lee Oskar, Thomas « Papa Dee » Allen, Harold Brown, Pat Rizzo, Howard E. Scott, et B.B. Dickerson.
Le 6 juin dernier, les membres originaux de WAR ont posé leurs empreintes au Hollywood Walk of Fame. Lee Oskar, Harold Brown et Howard Scott, qui forment aujourd’hui le Low Rider Band (voir Funk★U magazine n°12) étaient présents. Pensez-vous rejouer prochainement avec vos anciens partenaires ?
Jerry Goldstein : Nous avons eu notre étole sur Hollywood Boulevard et c’était un honneur phénoménal. Tous les membres du groupe original encore vivants étaient là. Nous nous sommes retrouvés tous ensemble après la cérémonie et l’ambiance était très chaleureuse… J’ignore si le groupe rejouera ensemble un jour, mais rien n’est exclu. Il se reformera peut-être lors d’une occasion spéciale, par exemple l’intronisation au Rock and Roll Hall of Fame si on nous le demande, et ça serait fabuleux. Mais dans le cas présent, le groupe WAR est celui qui donne plus de 70 concerts par an dans le monde entier et tout le monde est content…
Lonnie Jordan : D’autres musiciens qui ont fait partie de WAR étaient également présents, et il faut aussi en tenir compte. Les musiciens que vous avez mentionnés sont ceux qui ont joué sur les hits de WAR, mais il y aussi les autres, et il serait injuste de ne pas les inviter au Rock and Roll Hall of Fame tout simplement parce qu’ils n’ont pas joué sur All Day Music, Why Can’t We Be Friends? ou The World Is a Ghetto.
Jerry Goldstein : Il faut aussi saluer ceux qui ont joué sur Music Band, Evolution ou un titre comme « Cinco de Mayo », qui est devenu un énorme hit dans la communauté latine. De plus, trois membres des débuts ne sont plus là, et le groupe original ne pourra donc jamais se reformer…
Après les coffrets dédiés à The World Is a Ghetto et Why Can’t Why Can’t We Be Friends?, avez-vous l’intention de poursuivre les rééditions du catalogue de WAR ?
Jerry Goldstein : Oui, probablement. J’en discute avec Warner Brothers et Rhino Records et si tout va bien, Galaxy devrait faire l’objet d’un prochain coffret, peut-être suivi par Music Band ensuite. Nous aimerions aussi publier un nouvel album studio de WAR…
Le 7 juillet, WAR va donner à un concert unique à Paris. À quoi pouvons-nous nous attendre ?
Lonnie Jordan : Cela fait très longtemps que nous n’avons pas joué à Paris ! Je ne me souviens pas de la dernière fois que nous sommes venus, mais par contre, je me rappelle très bien de la première : c’était à l’Olympia, avec Eric Burdon (le 16 janvier 1971, ndr.) et le concert avait duré près de quatre heures. Les gens ne voulaient pas rentrer chez eux, et nous avions joué rappel sur rappel….
Jerry Goldstein : C’était un concert incroyable et on en trouve certains extraits sur Internet. Dans nos archives, il existe une bande de ce concert et nous allons en publier certains extraits en vinyle à l’occasion du prochain Record Store Day. Il s’agit d’un projet live dans lequel figureront quelques titres de l’Olympia. Nous devrions même peut-être publier plus tard l’intégralité de ce concert, car il est vraiment extraordinaire.
Lonnie Jordan : Lors du prochain concert de WAR à Paris, vous avez entendre des hits, rien que des hits. Vous allez entendre « The Cisco Kid », « Me and My Baby Brother », « Slippin’ Into Darkness » et bien d’autres! Il y aura beaucoup de danse, de mouvement, et de gens qui se rencontreront pour la première fois et deviendront amis pour la vie…. Nous allons tout donner lors un concert qui devrait durer au moins deux heures car nous ne sommes pas venus à Paris depuis longtemps et nous voulons laisser une bonne impression. J’ai d’ailleurs un message à adresser au public français : venez nous rejoindre et célébrer la paix à travers notre musique, ses harmonies, ses mélodies, ses rythmes, ses grooves et ses messages. WAR, c’est tout ça… Et n’oubliez pas de ramener beaucoup d’eau, car la scène va être en feu !
Propos recueillis par Christophe Geudin
WAR Why Can’t We Be Friends? 50th Anniversary Edition (Rhino/Warner Brothers). En concert à Paris (New Morning) le lundi 7 juillet dans le cadre du New Morning Festival All-Stars.