En 2015, le songwriter/performer/producteur Pepé Willie, qui vient de nous quitter à l’âge de 76 ans, revenait sur les débuts historiques d’un jeune musicien prometteur originaire de Minneapolis : Prince Roger Nelson.
Funk★U : The Cookhouse Five, Original Sessions 1975 contient les cinq premiers enregistrements professionnels de la carrière de Prince. Ces titres sont déjà parus sur les albums Minneapolis Genius – The Historic 1977 Recordings et 94 East Featuring Prince : Symbolic Beginning. Des vieilles chansons pour un nouveau projet ?
Pepé Willie : Ce projet marque le 35ème anniversaire de la première fois où Prince est entré dans un studio. C’était en 1975, aux Cookhouse Studios avec mon groupe 94 East. Ces morceaux ont été remixés récemment par Matt Fink, alias Dr. Fink de The Revolution. Nous avons aussi isolé mes parties de guitare et celles de Prince, et c’est étonnant de voir à quel point il était déjà doué à cet âge-là. C’est pour cette raison que nous avons décidé de les offrir en sonneries de téléphone portable. Personne n’avait encore eu cette idée ! Le plus important reste l’aspect historique de ces bandes, que nous allons léguer au Rock’n’Roll Hall of Fame. Elles font partie de l’histoire de la musique noire américaine. Il faut aussi que cette histoire soit corrigée, car peu de gens connaissent l’histoire des débuts de Prince. Je voulais la raconter pour qu’on comprenne mieux ses débuts dans l’industrie du disque. Je l’ai aidé à créer sa société d’édition, les membres de The Revolution ont passé leurs auditions dans ma maison et nous avons organisé un de ses tous premiers concerts au Capri Theater, en 1979. Ce nouveau projet est un cadeau pour ses fans et ceux de 94 East.
En 1975, vous étiez une sorte de parrain dans la communauté musicale de Minneapolis
Oui, c’est vrai. J’ai grandi dans l’industrie musicale. Mon oncle était Little Anthony, d’Anthony and the Imperials. J’ai suivi tous leurs shows dans la région de New York au début des années 1960. J’ai rencontré Marvin Gaye, Ray Charles, Jimi Hendrix, Stevie Wonder, les Supremes. J’ai beaucoup appris sur ce business grâce aux Imperials. À cette même époque, j’ai rencontré Shontel Manderville, la cousine de Prince, et je l’ai épousée à New York, au Copacabana. Elle me parlait d’un cousin de Minneapolis qui voulait faire carrière dans la musique. Nous nous sommes parlés au téléphone une ou deux fois quand Prince avait quinze ans. Je lui expliquais en quoi consistaient les copyrights, les contrats d’artistes et les droits des musiciens en général. Deux ans plus tard, nous avons déménagé à Minneapolis et nous avons commencé à travailler avec son groupe, Grand Central. Et il y avait du boulot (rires) ! Ils étaient encore adolescents et j’avais 24 ans. Il n’avaient même pas leurs permis de conduire. C’est moi qui les emmenais au studio et aux répétitions dans mon pick-up. Ils venaient vers moi car je savais comment créer de la musique destinée à passer à la radio, à se faire signer par un label. Ils ignoraient tout ça. Ils voulaient juste monter sur scène et jouer.

Grand Central avec André Cymone (2ème à partir de la gauche), Morris Day (3ème à partir de la gauche) et Prince
Comment s’est déroulée la première répétition avec Grand Central ?
Prince, André Cymone et Morris Day ignoraient tout de la carrière de musicien et du songwriting. Lors de la première répétition avec Grand Central, je leur ai demandé de me jouer une de leurs chansons. Elle a duré dix minutes ! ils ne savaient pas ce qu’était une intro, la construction du morceau était incorrecte. Je leur ai dit : « En premier lieu, il vous faut une intro. Après l’intro, il faut un premier couplet, puis le hook, qui doit être le titre de la chanson. C’est le hook qui doit marquer les auditeurs, et il faut le répéter au moins trois fois dans la chanson. Après le premier hook, on doit avoir le deuxième couplet, puis le hook et ainsi de suite…”.
Prince était-il déjà conscient de ses capacités instrumentales ?
Le groupe était très bon d’un point de vue technique. Ils suivaient mes instructions et ils ont appris très vite. J’ai aussi découvert très rapidement que Prince pouvait jouer de la basse et des claviers en plus de la guitare. Il se détachait vraiment des autres, même si Morris était un excellent batteur. C’est pour ça que je lui ai demandé de venir enregistrer en tant que guitariste avec mon groupe 94 East.
« If You See Me » est le morceau le plus célèbre issu de cette session. Prince et Jesse Johnson l’ont enregistré sous le titre « Do Yourself a Favor ». Quelle est votre version favorite ? Celle de Prince, de Jesse Johnson ou la vôtre ?
C’est facile mec : la mienne ! C’est l’originale, la vraie. Un soir, je m’étais disputé avec Shontel. Elle venait de quitter l’appartement et j’étais très en colère après elle. Je me suis assis, et je me suis dit que je devais écrire ce qui venait de m’arriver. J’ai écrit cette chanson en une heure. Elle venait du cœur. Prince l’a reprise en 1982, puis Jesse Johnson l’a tellement aimé qu’il l’a enregistrée pour Shockadelica. Je vais vous raconter une anecdote : je roulais dans les rues de Minneapolis avec Morris Day à côté de moi et on aperçoit Prince en train de se balader. Dès qu’il nous voit arriver, il se dirige vers la voiture et jette une cassette à travers la vitre. Je lui demande ce qu’il y a dessus et il me dit « écoute, c’est tout ! ». Morris met la cassette dans l’autoradio et on entend ma chanson ! Il m’a dit plus tard qu’il voulait la sortir à cette époque mais il ne l’a jamais fait. Ce qui m’étonne encore aujourd’hui, c’est qu’il n’avait d’enregistrement de la version originale du Cookhouse Studio. Il avait tout retenu dans sa tête !
Revenons à The Cookhouse Five. Auriez-vous pu imaginer un instant que ces titres allaient faire partie de l’histoire de la pop music ?
Franchement, non. C’est très difficile de savoir jusqu’où ira la carrière d’un artiste dès ses débuts, même si Prince était déjà très doué. Je ne suis pas devin. J’adore ces chansons, et elles ont permis à 94 East d’être signé chez Polydor. Malheureusement, Hank Cosby (NDLR : l’auteur de « My Cherie Amour » de Stevie Wonder) qui travaillait avec nous s’est virer et la signature est tombée à l’eau.
Après cet échec, vous avez retrouvé Prince en studio à New York en 1978 ?
Oui. Tony Sylvester, le leader de The Main Ingredient, travaillait sur un album des Imperials. Il cherchait des musiciens de studio pour travailler sur quelques maquettes. Prince était en train d’enregistrer son deuxième album et je me souviens avoir entendu « I Feel For You » et « Do Me Baby » pour la première fois. André Cymone était là, et je crois bien que c’est lui qui avait écrit « Do Me Baby ».
Prince est-il au courant de cette sortie. Quel type de relation entretenez-vous aujourd’hui ?
Non, il n’est pas au courant, mais nous sommes toujours amis. Je l’ai aidé quand il a démarré, et même un peu après sa signature avec Warner. J’ai tout fait pour le protéger du côté sombre de l’industrie du disque. J’étais marié avec sa cousine, il faisait partie de la famille, je me devais de l’aider. Je voulais qu’il soit fort et il travaillé très dur pour y arriver. On se croise moins qu’avant, mais chaque fois, nous sommes contents de nous rencontrer, même si notre relation est beaucoup moins forte aujourd’hui.
Une dernière question, quelle est l’origine de votre surnom Pepé ?
C’est français ! Ma mère avait des amis français, et c’est eux qui m’ont surnommé Pepé à ma naissance. Tout le monde croit que c’est Mexicain, mais c’est 100% français (rires) !
Propos recueillis par Christophe Geudin