Roy Ayers, un des derniers géants soul-funk-jazz, nous a quitté le 4 mars à l’âge de 84 ans des suites d’une longue maladie. De retour sur scène en France depuis le début des années 2000, le compositeur, producteur, chanteur et vibraphoniste virtuose avait fréquemment évoqué sa carrière au micro de Funk★U. Un parcours unique dans lequel se croisent Lionel Hampton, Fela, la Blaxploitation et le sampling hip-hop. Souvenirs à la première personne.
Lionel Hampton
Roy Ayers : Lionel Hampton au piano, c’était incroyable ! Il faisait des trucs insensés rien qu’avec deux doigts. Je joue un peu comme ça aussi. Il était phénoménal. Ma mère m’a emmené le voir en concert à Los Angeles quand j’avais 5 ans. Plus tard, il m’a donné mes premiers maillets de vibraphoniste. En 1987, j’ai joué au Village Gate, à New York, devant 600 personnes. On partageait le même tourneur chez ABC Bookings, et j’ai demandé qu’on amène Lionel Hampton à mon show. Avant de monter sur scène, j’ai déguisé mon road-managers en gorille. A la moitié du concert, j’ai demandé à l’assistance s’il y avait un joueur de vibraphone dans la salle, et le gorille est sorti du public et s’est mis à jouer n’importe quoi. Je l’ai chassé de scène à coups de serviettes et j’ai demandé qu’on fasse venir un vrai joueur de vibraphone en la personne de Lionel Hampton. On a joué « Flying Home », un de ses tubes, et c’était un des plus grands moments de ma vie. Lionel Hampton était mon mentor. Il me manque.
Coffy
Le président d’American International Pictures a appelé un jour celui de Polydor, ma maison de disques de l’époque. Ils voulaient que je compose et que j’enregistre la bande originale d’un de leurs nouveaux films dont on ne savait pas grand-chose, à part que Pam Grier en était la vedette. Bien sûr, j’ai accepté tout de suite, je n’avais jamais enregistré de bande originale de ma vie et c’était une occasion en or. Mais à peine après avoir raccroché, j’ai commencé à me poser des questions : d’un côté, c’était une nouvelle expérience très excitante mais de l’autre, je n’avais pas la moindre idée concernant l’écriture et la composition d’une bande originale de film. Heureusement, je n’ai pas gambergé trop longtemps car il a fallu tout de suite entrer en studio.
Au début 1973, j’ai pris l’avion pour Los Angeles où j’avais rendez-vous dans les bureaux d’American International Pictures. Là-bas, j’ai rencontré Jack Hill, le metteur en scène du film et pendant deux ou trois jours, il m’a raconté toute l’histoire, m’a décrit tous les personnages principaux et expliqué le scénario en détail. Le dernier jour de ma visite, j’ai pu voir une version finale du montage sans la musique. Je suis rentré à New York avec plein d’idées, et dès le lendemain j’étais en studio avec mon groupe. Dennis Davis (futur batteur de David Bowie de 1974 à 1980, ndr.) était à la batterie, Richard, son frère, jouait de la basse. Billy Nicholas et Bob Rose étaient à la guitare. J’ai aussi utilisé deux chanteurs : Wayne Garfield et Denise Bridgewater, alias Dee Dee Bridgewater. Dee Dee jouait avec d’autres musiciens à cette époque, mais elle faisait partie mon groupe. Son mari Cecil jouait de la trompette avec John Faddis. Wayne Andre était aussi au trombone si je me souviens bien. La BO de “Coffy” doit aussi beaucoup à Harry Whitaker, qui a arrangé toutes les cordes et les parties de claviers de l’album. Tout s’est fait très rapidement, je crois que les séances n’ont pas duré plu de deux ou trois jours. Je suis un musicien spontané, je n’ai pas besoin de beaucoup de temps pour mettre me idées en oeuvre et avec ce groupe, c’était encore plus facile. Je pense aussi que les gens d’American International Pictures savaient tout ça. They knew I was the man (rires) !
Sampling
J’ai été moins samplé que James Brown, mais j’ai eu plus de hits samplés que James Brown n’en a jamais eu. Beaucoup de rappeurs ont samplé « Searchin’ », Will Smith a repris « Mystic Voyage », Puff Daddy et Biggie ont fait « Get Money » pour Junior M.A.F.I.A… Mary J. Blige m’a appelé l’autre jour pour reprendre « Searchin’ », alors qu’elle vient tout juste de reprendre « Everybody Loves the Sunshine ». Plusieurs groupes de R&B ont même utilisé certains gimmicks : TLC a juste chanté la ligne « My Life, My Life, My Life » et ils m’ont reversé 10% (rires) !
Fela Kuti
J’ai joué avec Fela à la fin des années 1970. C’était une expérience unique d’aller en Afrique pour moi qui suis né à Los Angeles. Sur place, j’ai découvert que Fela avait 27 femmes. Je lui ai demandé pourquoi, et il m’a dit que c’était comme ça que se passait dans la tradition africaine. Il m’a aussi expliqué que dans certaines tribus, il y a plus de femmes que d’hommes et que les anciens toléraient la polygamie si tu avais les moyens d’assumer financièrement toutes tes femmes. Pour ça, il fallait posséder des vaches, des chèvres… Fela était un rebelle. Il s’est battu contre la corruption car il aimait l’Afrique, mais l’assassinat de sa mère à Calcutta l’a beaucoup blessé. Il ne s’en est jamais vraiment remis. Il est venu me voir aux Etats-Unis, chez moi, en Californie, et il a été très impressionné par le mouvement Black Power. Il est retourné ensuite au Nigeria, et il a essayé de reprendre les slogans et les postures du Black Power, et tout le monde lui a dit qu’il était fou, parce que tout le monde était noir à Lagos (rires) ! Il m’a dit avant de mourir que plus vite il mourrait, plus vite il reviendrait. Peut-être qu’il reviendra bientôt…
Propos recueillis par Christophe Geudin