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Disparition de Sam Moore (Sam and Dave)

Sam Moore, la moitié du légendaire duo soul Sam and Dave, nous a quitté le 10 janvier 2025 à l’âge de 89 ans. Lors de son dernier passage à Paris en 2004 à l’occasion d’un festival gospel, le chanteur originaire de Miami nous avait relaté son parcours, des lumineuses années Stax à l’enfer narcotique des années 1970, puis sa rédemption lors de la décennie suivante. « Je suis un survivant », nous avait confié le regretté Sam Moore.

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Funk★U : On connaissait Sam Moore en tant que légende de la soul avec Sam and Dave, mais c’est au gospel qu’on doit votre venue en Europe.

Sam Moore : Exactement. Je suis venu à Paris pour participer à un festival, mais je ne chante pas Soul Man ni Hold On ! I’m Comin’. Les gens connaissent Sam and Dave, ils connaissent Sam Moore en solo, mais ils ne s’attendent pas à ce que je chante du gospel. Je suis un peu nerveux, même si j’ai déjà travaillé plusieurs fois avec le London Choir. D’habitude, on chante une seule chanson, mais cette fois il y en aura beaucoup plus, dont The Lord’s Prayer, In the Garden et John the Revelator, une chanson que j’interprète avec Dan Aykroyd et James Brown dans The Blues Brothers 2000.

Vous soumettez-vous à une quelconque préparation pour entrer dans la peau d’un chanteur de gospel ?

Non. Absolument pas. Avant que Sam and Dave chantent Hold On ! I’m Comin’, I Thank You et When Something Is Wrong With my Baby, je chantais du gospel dans les églises de Miami. Je n’étais pas aussi célèbre que Sam Cooke, Mahalia Jackson ou Aretha, mais le gospel a été, et est toujours, ma première inspiration. La seule différence, c’est qu’il n’y aura pas de groupe derrière moi, juste un piano et une chorale. J’ai juste peur d’une chose : oublier les paroles (rires) !

A l’époque de Sam and Dave, vous vous distinguiez des autres duos soul par votre puissance vocale et votre énergie brute, à tel point que vous couvriez la musique sur certains titres.

C’est une bonne manière de résumer les choses. Quand on a commencé à enregistrer au studio Stax de Memphis, nous ne possédions pas de huit pistes, mais seulement quatre et l’ingénieur du son mixait nos voix le plus en avant possible dès qu’il en avait l’occasion. On est passé ensuite de huit à seize, puis de seize à vingt-quatre. L’autre explication, c’est qu’on enregistrait souvent pendant les tournées. On ne se reposait jamais. Une fois, on est allés à Paris avec la revue Stax. Le lendemain, on est repartis en Suède, et le jour d’après, on était en studio à Memphis ! C’est de là que vient ce son dur, cru, rugueux, le son de deux types qui chantent avec toutes leurs tripes et qui donnent le meilleur d’eux-mêmes en studio.

A quoi ressemblait une session d’enregistrement typique au studio Stax ?

Les MG’s jouaient aux dés dans un coin, d’autres fumaient dehors, sur le perron du cinéma, ou étaient partis jouer au golf, d’autres étaient avec leurs girlfriends… Dave, Isaac Hayes, le parolier David Porter et moi étions installés autour du piano, en train d’apprendre une nouvelle chanson. Tout le monde passait nous voir : Otis, les Staple Singers, Booker T… Avec du recul, j’avoue que je ne comprenais pas toujours les chansons qu’Isaac et David Porter écrivaient pour nous, même si elles nous ont rendu célèbres. Je vais te raconter une histoire : quand on a enregistré Hold On ! I’m Comin’, David Porter s’est absenté aux toilettes pendant qu’Isaac nous montrait les accords de la chanson. On avait le gimmick « I’m coming, I’m coming », mais on ne trouvait pas le titre. Rien à faire. Isaac s’impatientait, et David était toujours aux toilettes. A un moment, il a craqué et s’est mis à appeler David : « Hey Porter, qu’est ce que tu fous ? » et à travers la porte des toilettes, David à répondu « bougez pas, j’arrive ! (Hold on, I’m comin’ !) ». C’est comme ça qu’on a trouvé le titre. C’est une anecdote typique des méthodes de travail de Stax. Les titres de chansons provenaient de couvertures de magazines, de publicités, des unes de journaux…

Vous êtes l’un des personnages centraux d’Only The Strong Survive, un documentaire réalisé par D.A. Pennebaker en 2002. On vous y voit évoquer avec franchise votre plongée dans la drogue dans les années 1970. Quel regard portez-vous sur cette époque ?

Dans le film, on me pose la question « Sam, es-tu un survivant ? ». J’ai répondu oui. J’ai fait plusieurs overdoses, je me suis retrouvé sans-abri. J’avais faim. J’ai perdu ma famille, mes amis. Je n’ai pas perdu ma voix, mais j’ai perdu mon coeur. Je me foutais de tout sauf du prochain fix. J’aurais fait n’importe quoi pour un autre fix. J’aurais raconté n’importe quoi, fait n’importe quoi à n’importe qui, couché avec n’importe qui pour un autre fix. J’aurais dit tout ce que tu voulais entendre pour un autre fix. Je me suis fait expulser de plusieurs villes par des dealers concurrents. Une fois, on a failli me jeter par une fenêtre du 25ème étage d’un building, on m’a tabassé. En 5 ans, je suis passé d’un performer à succès à un junkie de 120 kilos. Mais j’ai survécu. Un soir, j’étais assis au bord du lit, en train de regarder les informations : Jim Belushi était mort la veille à cause des mêmes drogues que je prenais. Héroïne, cocaïne, PCP… Il en est mort et pas moi. « Es-tu un survivant Sam ? » Oui, je suis un survivant. Ma voix est toujours forte, et je sais qu’il y a toujours un Soul Man en moi.

Propos recueillis par Christophe Geudin en 2004.