Interview

Greg Boyer, trombone en coulisses

Tromboniste, arrangeur et compositeur, Greg Boyer a participé à la saga P-Funk de Parliament-Funkadelic, avant de rejoindre le groupe de tournée de Maceo Parker puis celui de Prince au début des années 2000. « J’ai dû m’adapter », résume aujourd’hui le membre actif du projet Shrizz N Maze.

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Funk★U : Après avoir été membre de Parliament-Funkadelic et du NPG, vous collaborez avec Shrizz N Maze. Quel est le point de départ de cette rencontre ?

Greg Boyer : Je connais Eric Rohner (saxophoniste et moitié de Shrizz N Maze, ndr) depuis longtemps. Nous nous sommes rencontrés pour la première fois il y a environ trente ans au Montreux Jazz Festival. Il y a environ deux ans, il m’a appelé pour me demander si j’avais envie de participer à une séance d’enregistrement, et je lui ai dit oui. Puis il m’a demandé si je voulais venir jouer quelques dates avec le groupe, et bien sûr, j’ai accepté, car leur musique et leur album sont vraiment excellents. De plus, je n’étais pas revenu en France depuis le covid. La dernière fois, c’était avec Maceo Parker. On jouait dans le sud de la France, puis ils ont commencé à annuler des dates, puis toute la tournée et en mars 2020, nous sommes rentrés aux Etats-Unis pour de bon…

Vous êtes originaire de Washington. A quoi ressemblait la scène locale dans laquelle vous avez grandi ?

Dans les années 1960, j’étais un gosse qui vivait à la campagne dans une petite ville, Bryans Road, dans l’état du Maryland. A partir du début des années 1970, j’ai commencé à jouer dans plusieurs groupes. Il y avait aussi de nombreuses formations qui jouaient dans les bases militaires. Du coup, il y avait beaucoup de musiciens à Washington, et donc beaucoup de travail car la scène locale était très active. Puis, à la fin des années 1970, Washington est devenue la capitale mondiale de la go-go. C’était vraiment là que ça se passait, notamment avec Chuck Brown, avec qui j’ai beaucoup joué également.

Vous êtes connu en tant que tromboniste, mais votre premier instrument est le saxophone.

Oui, un alto, puis je suis passé au tuba, puis à la contrebasse, à la guitare et au basson tout en prenant des cours de piano. Au lycée, je pouvais jouer tous ces instruments et je me destinais à la musique classique. Mais j’ai finalement choisi le trombone, dont je jouais déjà dans le groupe de jazz du lycée, car partout où j’allais, je tombais sur un saxophoniste meilleur que moi. En jouant du trombone, j’étais sûr de trouver un groupe.

A la fin des années 1970, vous rejoignez Parliament-Funkadelic. Par quel biais avez-vous intégré le groupe ?

J’avais 19 ans, j’étais à l’université et mon camarade de chambre était Benny Cowan (futur trompettiste de Parliament-Funkadelic, ndr). Fin 1977, nous avons arrêté les cours et décidé de voyager sur la côte est pour gagner notre vie en devenant musiciens professionnels. Un jour, un ami nous a appelé pour nous dire que George Clinton était à la recherche d’une section cuivres. Nous avons passé une audition en février 1978, puis nous avons officiellement rejoint Parliament-Funkadelic le mois suivant.

Comment s’est passé votre premier concert P-Funk ?

C’était à Huntsville, dans l’Alabama, et J’étais terrorisé. Le road manager s’en est rendu compte et il est venu vers moi en me tenant un joint. « Tiens, fume ça, tu te sentiras mieux » (rires). Donc, j’ai plané un peu pendant ce premier concert, mais tout s’est bien passé… Quand on joue dans une grande salle ou un stade, on ne voit que les cinq premiers rangs dans l’obscurité, mais dès que les lumières se sont allumées ce soir-là, j’ai découvert la puissance de la foule, et c’était tout nouveau pour moi. Jusque-là, j’avais seulement joué dans des clubs ou des juke-joints à un dollar la bière. J’ai dû m’adapter.

Le P-Funk est réputé pour sa folie en studio et sur scène, mais d’un point de vue musical, les arrangements sont toujours méticuleusement structurés.

Peut-être pas aussi méticuleux qu’il n’y paraît, car George avait l’habitude de recruter des musiciens capables de jouer sa musique à la perfection, et il leur donnait la liberté de jouer leurs parties et les arrangements de la meilleure façon possible. Ces musiciens étaient excellents lorsqu’ils jouaient ensemble. Ils savaient d’instinct ce qui allait fonctionner, que ce soit sur scène ou en studio.

Comment étaient organisés les arrangements de cuivres ?

Quand je suis arrivé dans le groupe, c’était un effort collectif. Parfois, Benny Cowan écrivait des parties, d’autres fois, c’était moi ou Greg Thomas. La plupart du temps, c’étaient tous les trois, mais personne n’était vraiment désigné.

A quoi ressemblaient les séances studio de Parliament-Funkadelic ?

George ne nous disait jamais ce qu’il fallait jouer. Il choisissait les musiciens en qui il avait confiance, et il attendait d’eux les meilleures parties de cuivres pour les chansons que nous étions en train d’enregistrer. C’est à peu près tout, et quand le boulot était terminé, on rentrait chez nous.

Vous avez participé à de nombreuses tournées avec Parliament-Funkadelic. Vous êtes même venus en Europe, et à Paris à la fin des années 1970.

Ca devait être en novembre ou décembre 1978 (le 16 décembre au Pavillon de Paris, ndr) et nous avons joué à Paris, Amsterdam et Londres. On appelait cette tournée « l’anti-tour ». On portait tous des uniformes militaires et il n’y avait aucun décor sur scène, rien que de la musique. A cette époque, George en avait marre de voyager avec des tonnes d’équipement et d’être réputé pour le spectacle P-Funk, au détriment de la musique, d’autant plus que Junie Morrison venait de rejoindre le groupe.

Vous avez fait partie de l’aventure P-Funk pendant près de vingt ans, puis vous avez décidé de vous en éloigner. Pourquoi ?

J’ai fait partie du groupe pendant 19 ans, puis je suis parti car j’en avais marre. Ce n’était plus aussi amusant qu’au début, et l’organisation était de plus en plus compliquée. J’avais aussi l’impression de toujours jouer la même chose et j’ai perdu ma motivation… Deux ans plus tard, j’ai rejoint le groupe de Maceo Parker. Il m’a proposé une tournée européenne de deux semaines, et ces deux semaines ont fini par durer vingt ans.

Fred Wesley a l’habitude de dire que faire partie du groupe de George Clinton P-Funk donnait l’impression de travailler dans un cirque, alors qu’avec James Brown, on était plus proche de l’armée. Qu’en était-il avec Maceo Parker ?

(Rires) Il y a un peu des deux, même si c’est un peu différent. Dans Parliament-Funkadelic, on pouvait exprimer sa propre personnalité et porter les vêtements qui nous plaisaient. Avec Maceo, tout était plus structuré. Il fallait porter un costume et tout devait être ultra-précis. Si vous avez assisté à des concerts de Maceo, vous voyez de quoi je parle… Quand je faisais partie des P-Funk All-Stars, je pouvais soulever George et le porter à bout de bras. Une fois, lors d’un soundcheck, j’ai fait la même chose avec Maceo. Il venait de jouer un solo extraordinaire et j’étais tellement ému que je l’ai porté dans mes bras. Il m’a dit : « pas de ça avec ce groupe. Repose-moi tout de suite, car c’est moi le patron ». C’est à ce moment-là que je me suis rendu compte que je faisais partie d’un autre univers et qu’il fallait que je m’adapte à la situation.

NPG 2002 avec Sheila E @ Afshin Shahidi

C’est par l’intermédiaire de Maceo Parker que vous avez rejoint le NPG, le groupe de scène de Prince, en 2002.

Oui. Prince voulait que Maceo devienne membre permanent de son groupe. Il est venu nous voir jouer et il lui a dit : « Maceo, viens dans mon groupe et amène ton tromboniste car vous avez une bonne alchimie sur scène, comme si vous partagiez le même cerveau. » Prince voulait retrouver cette alchimie, et c’est comme ça que je suis devenu membre du NPG.

Aviez-vous déjà rencontré Prince auparavant ?

Oui, au Beverly Theater de Los Angeles, en 1983 (l’album live P-Funk All-Stars Live at Beverly Theater in Hollywood sorti en 1990, ndr). Il était derrière le rideau, en train de regarder la section cuivres. A un moment, nous sommes sortis de scène pendant « Maggot Brain ». Je suis passé devant Prince et je l’ai salué. Vingt ans plus tard, lorsque je suis entré dans son groupe, je lui ai rappelé et il m’a répondu qu’il s’en souvenait parfaitement !

La tournée One Nite Alone est votre première avec Prince, en 2002. Quel souvenir en gardez-vous ?

C’était une excellente tournée, et certainement plus jazz que les précédentes pour Prince. Nous portions tous des costumes, nous étions très chics et je pense que cette idée lui est venue des concerts de Maceo. Il ne jouait presque pas ses hits comme « Purple Rain », mais plutôt les titres de The Rainbow Children, qui venait juste de sortir. De plus, il était très impliqué dans les témoins de Jehovah à cette époque, et il ne voulait plus chanter certaines chansons…

Sur cette tournée, les journées étaient très longues, avec des soundchecks, publics, suivis de longs concerts et très souvent d’aftershows. Comment teniez-vous le coup ?

Grace au café, beaucoup de café (rires) ! Quand vous savez que la journée va être très longue, et elles l’ont souvent été sur cette tournée, vous vous assurez de prendre un maximum de repos la veille des concerts. Sinon, c’était comme faire partie d’une caserne de pompiers : l’alarme pouvait sonner à tout moment, et il fallait se tenir prêt et s’habiller pour aller à une afterparty dans un club où le groupe était attendu pour jouer. Souvent, on nous faisait attendre sur un canapé ou dans la section VIP pendant des heures. Je détestais ça…

Deux ans plus tard, en 2004, vous avez participé à la tournée Musicology.

C’était une tournée très différente, et probablement une des meilleures de ma carrière. Nous avions répété dix heures par jour pendant deux mois dans un studio au nord de Los Angeles, puis nous avons donné un ou deux concerts, et Prince nous a encore fait répéter pendant plusieurs semaines avant de partir en tournée. On jouait dans de très grands salles et les concerts étaient incroyables. Après ça, nous avons fait une longue résidence à La Vegas (entre 2006 et 2007, ndr). Les concerts avaient lieu le vendredi et le samedi. Je rentrais chez moi chaque dimanche et je revenais le samedi. C’était très pratique.

Comment se déroulait l’écriture des arrangements de cuivres ?

En général, c’était moi qui les écrivais. Quand Prince avait une idée pour les cuivres, il me demandait de la retranscrire, car il ne savait pas lire la musique. Il me faisait penser au personnage de son père dans Purple Rain, qui avait toute sa musique sur partitions… Prince était un génie, mais il ne savait pas lire la musique, et il n’y avait aucune partition de cuivres à Paisley Park. Tout se faisait à l’oreille, et lorsque je suis arrivé, c’est devenu mon job. Comme ça, les nouveaux musiciens qui remplaçaient les anciens n’avaient pas besoin de tout retranscrire. Chez moi, je possède un carton rempli d’arrangements que j’ai écrits pour Prince. Peut-être qu’un jour, quelqu’un viendra me les demander en guise de souvenir…

Vous avez également participé à plusieurs séances studio avec Prince. Laquelle était la plus mémorable ?

Sans doute celle de « Get On The Boat » (pour l’album 3121, paru en 2006, ndr). Normalement, pendant une séance, on enregistre la basse et la batterie un certain jour, puis la guitare et le piano un autre. Pour cette séance, Prince a travaillé à l’ancienne, avec tous les musiciens réunis dans la même pièce. « Un, deux, trois, quatre et boom ! » On a dû jouer la chanson trois ou quatre fois, puis Prince a chois la meilleure prise et l’a publiée telle quelle, avec peut-être quelques ajouts de percussions de Sheila E un peu plus tard.

Vous avez joué pour la dernière fois avec Prince lors de la résidence 21 Nights à Londres, en 2007. Comment a pris fin votre collaboration ?

Je crois que j’ai joué mon dernier concert avec Prince à Paisley Park, peu après. Il m’avait demandé de monter une section cuivres, car je lui avais expliqué qu’en choisissant quelqu’un comme Maceo Parker en leader de la sienne, il risquait de le voir partir en solo sur d’autres projets ou d’autres tournées. Je lui ai suggéré de recruter des musiciens moins connus, mais capables de très bien jouer ensemble. J’ai donc monté cette section, et au bout d’une semaine de répétitions à Paisley Park, Prince est venu me dire : « tu avais raison, et je vais te demander d’écrire les arrangements de 175 chansons pour une section de cinq cuivres ». J’ai accepté, mais lorsque j’ai découvert la somme qu’il me proposait pour ce travail énorme, j’ai été très déçu. C’était très en-dessous de ce qu’on me payait habituellement, et j’ai perdu ma motivation. Je n’ai pas quitté le NPG officiellement, mais il a fini par engager une autre section.

Quels sont vos projets dans les prochains mois ?

Je suis toujours très occupé. On m’appelle souvent pour jouer des parties ou écrire des arrangements de cuivres. Je songe aussi à un album solo, car j’ai composé beaucoup de titres, mais il n’y a pas d’urgence. C’est toujours dans un coin de ma tête…

Propos recueillis par Christophe Geudin