À quelques jours d’un concert de présentation d’In Another Life sur scène à Paris, au New Morning, Bilal revient sur le processus d’écriture et de composition de son nouvel album. En direct de son salon de Philadelphie, le songwriter nous décrit l’évolution d’une palette sonique inspirée par la mutation (ou plutôt la non-mutation) de la société américaine. Entretien avec un artiste en perpétuelle évolution artistique et porté par le gout du risque.
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Funk★U : Vous avez signé votre premier contrat à 19 ans. Aujourd’hui, vous en avez 35. Comment décririez-nous votre carrière de 1997 à 2015 ?
Bilal : Une carrière en perpétuelle évolution et en continuel changement. Tout a énormément changé en 15 ans : la technologie a évolué, j’ai moi-même beaucoup mûri, c’est sûrement le fait d’être devenu père, et ma vision de l’industrie du disque et de la musique en elle-même a aussi beaucoup changé.
In Another Life et l’album précédent, A Love Surreal, sont plus rock/soul que vos premiers essais qualifiés de « néo-soul ». Comment expliquez-vous cette évolution ? Et quel a été le processus créatif D’In Another Life ?
Je n’ai jamais vraiment su ce que le terme néo-soul voulait dire. Pour moi, c’est de la connerie, juste une dénomination commerciale. Je suis un artiste soul et la néo-soul n’est juste qu’un stupide terme américain utilisé pour vendre. Je suis un musicien soul et j’utilise plein de genres musicaux différents dans ma musique. Pour moi, l’évolution entre mon premier opus « néo-soul » (rires) et In Another Life est simplement naturelle. J’adore prendre des risques. Vous savez, quand j’ai commencé à faire de la musique, je partais du piano pour composer. Maintenant, je joue un peu mieux de la guitare, du coup, je compose et j’écris des chansons en partant de cet instrument. Naturellement, ça change la manière de composer. Il y a beaucoup de différences entre A Love Surreal et In Another Life : Love Surreal, c’était un travail de groupe, une collaboration avec mes musiciens. Sur In Another Life, j’ai essayé de faire plus de choses par moi-même, autant sur le songwriting que sur les toplines, j’ai réellement essayé de me mettre dans la peau d’un raconteur d’histoire, bien plus que dans le passé. J’ai aussi plus mis l’accent sur les textes. C’est pour ça que l’album s’appelle « Dans une autre vie » : j’ai essayé d’écrire sous différents angles avec différentes perspectives et il y a plusieurs niveaux de lecture dans les paroles de ce nouvel album.
La société américaine a relativement changé ces quinze dernières années, notamment à propos des questions d’inégalité. Les derniers albums de D’Angelo et Kendrick Lamar tendent à montrer ces changements. Ces changements ont influencé votre travail ?
Je pense que rien n’a jamais vraiment changé. Rien de nouveau sous le soleil. En ce moment, on en parle à nouveau, c’est dans l’air du temps. Cette question d’inégalité est plus vieille que la construction des États-Unis. C’est une bonne chose d’en parler, il faut que les gens en reprennent conscience. C’est bien d’utiliser la musique, une fois encore, pour souligner ces inégalités. La musique noire a toujours été la bande originale du changement et d’une révolution qui est encore en marche. C’est ça la soul : s’exprimer et mettre l’accent sur une société qui balbutie… Pour revenir au terme néo-soul, ça a toujours été de la soul, rien de nouveau. En ce moment, on est un peu plus pointilleux et attentifs par rapport à cet héritage de musique dite « engagée ». D’Angelo et Kendrick Lamar sont exactement dans le même état d’esprit. Nous faisons une musique pour révolutionnaires.
En tant qu’artiste noir en 2015, quelle est votre responsabilité ?
Éclairer le monde sur l’injustice et l’inégalité, mais aussi apporter de l’amour et de la tolérance, montrer la beauté. Je suis un artiste, et je pense qu’être un artiste consiste à réveiller les consciences.
Quels artistes ont eu cette responsabilité avant vous ?
Tous les artistes avaient cette responsabilité. En ce qui concerne la cause noire, je pense notamment à Curtis Mayfield, Marvin Gaye et Bob Marley.
La pochette de votre nouvel album semble être très inspirée par Basquiat.
Le peintre qui m’a fait la pochette est inspiré par Basquiat tout comme moi je suis inspiré par Prince ou Parliament.
Quel est votre album préféré de la nouvelle génération d’artistes urbains ?
Je n’écoute pas énormément de nouveaux artistes. Mais j’ai beaucoup aimé le dernier Kendrick Lamar. Il est super homogène et sortir un album comme le sien en 2015, c’est prendre un risque commercial. Il a fait son truc sans écouter qui que ce soit, voyez le résultat !
Vous avez collaboré avec de nombreux artistes, des Roots à Beyoncé, en passant par Jay-Z. Quel est celui/celle avec lequel/laquelle vous avez eu le plus d’atomes crochus ?
Je n’ai pas vraiment de préférence, tous sont des génies dans leur genre. Mais je pense que celui avec qui j’ai eu vraiment une directe symbiose, c’est J. Dilla. Ce type était vraiment un amoureux de la musique, un vrai génie, il est parti vraiment trop tôt.
Les choses changent dans l’industrie du disque, de la distribution, du streaming. Que pensez-vous de Tidal et de sa philosophie ?
Je commence à peine à m’intéresser à ces questions-là. Je sais que Tidal essaye d’avoir pour ambition de donner plus aux artistes, ce qui est une bonne chose en soi ! À voir sur le long terme… Peut-être que si Tidal existait à l’époque où mon album Love For Sale a leaké sur le net, je serais plus riche aujourd’hui. Ou pas (rires) !
Plus jeune, vous avez suivi les cours de la New School à New York. Quelles relations entretenez-vous avec les anciens de cette école ? Y-retournez-vous de temps en temps ?
J’ai adoré apprendre là-bas. J’ai rencontré tout un tas de musiciens, dont Robert Glasper et la plupart des musiciens qui m’accompagnent ou m’ont accompagné sur scène. C’était une étape importante de ma vie. Parfois, j’y retourne pour faire des masterclass ou donner des cours privés. Quand j’y étais dans les années 1990, je prenais des cours privés et je trouve ça bien d’en donner en retour quand je peux.
Comment vous voyez-vous dans dix ans ?
Dix ans, ce n’est pas si loin après tout. J’espère que je ferai toujours de la musique ! J’espère aussi que je continuerai de produire et d’écrire pour d’autres artistes. Pourquoi pas ouvrir mon propre label ou ma propre école de musique ?
Pour finir, avez-vous un message à transmettre à vos fans français quelques jours avant votre date parisienne ?
N’oubliez pas de venir (rires) ! Venez avec des esprits ouverts et je suis certain que vous allez aimer notre nouveau set. J’ai toujours aimé venir jouer à Paris. Dès que je suis en Europe, j’essaye toujours de passer faire un saut à Paris, j’adore cette ville et son public.
Propos recueillis par Jim Zelechowski
Bilal In Another Life (BBE Music/Differ-ant). Disponible en CD et version digitale. Double-vinyle disponible le 9 octobre. En concert à Paris (New Morning) le 30 Juillet.
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