Interview

Snarky Puppy « On joue pour les vibrations, pas pour la perfection »

Sylva, le nouvel album du talentueux collectif Snarky Puppy, propose la rencontre entre le groove et la symphonie en compagnie du Metropole Orkest. Michael League, bassiste et leader hyperactif de la formation, décrit à FunkU son approche de compositeur/producteur et le fonctionnement démocratique de son groupe multi-directionnel. « Depuis le début, je ne voulais pas faire de la branlette jazz »…

Funk★U : Comment s’est déroulé le processus d’écriture de Sylva ?

Michael League : J’ai tout écrit en tournée, dans des chambres d’hôtel et dans des avions sur petit clavier Midi. Beaucoup de choses ont été écrites une semaine et demie avant qu’on ne répète pour l’enregistrement. J’ai consacré deux jours à tout terminer. C’était assez compliqué d’écrire pour un orchestre juste avec un petit clavier, mais la technologie fait pas mal de miracles. C’est un album de voyage. J’étais tout seul devant mon ordinateur. Ce n’est pas la manière idéale d’écrire une symphonie, mais c’était la seule option que j’avais.

Aucun des morceau n’est né d’une jam ou d’une répétition ?

On ne répète jamais. Et nous étions en tournée donc nous n’avions pas l’occasion de jammer, on faisait juste des balances. Je travaillais sur les nouveaux morceaux après les concerts, dans ma chambre d’hôtel, dans le tour bus… dès que j’en avais l’occasion.

Le fait de ne jamais répéter est assez inhabituel, non ?

Je crois que ça le serait si nous ne jouions pas 170 concerts par an, mais quand on joue autant, on n’a plus besoin de répéter. Et puis on change la musique tous les soirs, on improvise beaucoup, on ne joue jamais un morceau deux fois de la même manière, donc pourquoi répéter si c’est pour tout changer au moment du concert ? Et puis ça fait 10 ans qu’on joue ensemble ! Si nous étions un groupe vocal, nous devrions nous assurer que nos voix s’accordent toujours bien, mais c’est une autre histoire. Si nous restions six mois sans jouer, je comprendrais qu’on répète, mais ça n’arrive jamais. On ne reste jamais plus de deux semaines sans se produire, donc tout est toujours frais.

La formule que vous avez adoptée – toi à la tête du groupe et beaucoup de live – avait-elle été réfléchie dès le début du groupe ?

Non, nous n’étions même pas sensés être un groupe. À la base, nous étions juste quelques amis qui jouaient ensemble. Mais il y a eu un effet boule de neige, les choses se sont accumulées.

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Considères-tu Snarky Puppy comme un groupe au sens traditionnel du terme ?

Oui, assurément. On est comme un groupe garage, comme n’importe quel groupe constitué d’amis qui écrivent de la musique ensemble, qui ont des groupes de merde, qui conduisent des heures pour jouer dans des clubs de merde, qui font tout par eux même. On ne voit pas souvent ça dans le jazz. C’est plutôt un truc de rock indé.

En même temps, vous avez une structure à géométrie variable et le groupe gravite autour de ton leadership.

OK, ça c’est différent de la définition d’un groupe traditionnel. La plupart des groupes sont composés d’un nombre de mecs, toujours les mêmes. Ce n’est pas notre cas, c’est très mouvant. Nous sommes comme un collectif. Dans ce sens, non, nous ne sommes pas traditionnels. Il y a certains éléments très normaux dans notre groupe, et d’autres qui sont vraiment bizarres. On va bientôt jouer notre premier concert sans moi aussi. Ce sera Tim Lefebvre à ma place.

Tu avais aussi évoqué Pino Palladino comme remplaçant idéal. Pourquoi eux ?

Parce qu’ils jouent incroyablement de la basse ! Ils savent de quoi ils parlent. J’aime les vrais bassistes, ceux qui jouent bas sur leur instrument, qui ont un super son, qui apporte du soutien à l’ensemble. C’est mon genre favori de bassiste. Je crois qu’en même temps qu’ils sont très impliqués dans la tradition de la basse électrique, son rôle fondamental et tout ça, ils sont très inventifs, ils prennent des risques et expérimentent. Et le son… surtout Tim, il arrive à sortir des sons que d’autres sont incapables de trouver. J’aime vraiment le mélange entre tradition et innovation.

Que penses-tu de Tal Wilkenfeld ? Son album solo avait la particularité, comme tu le fais dans Snarky Puppy, de ne ne pas mettre la basse en avant malgré de superbes lignes. Et ses musiciens (Wayne Krantz et Keith Carlock) ont aussi joué avec Tim Lefebvre.

J’adore Tal. On s’est rencontré à Los Angeles, on a fait une photo amusante ensemble, elle avait mis ses cheveux sur ma tête. C’est une bassiste et une chanteuse très douée. On a en commun qu’on parle de basse, tu vois ? Je veux dire, une basse ne doit pas remplacer un chanter et l’inverse ne doit pas arriver non plus. C’est ce que j’aime d’ailleurs dans cet instrument. Si j’avais voulu être sur le devant de la scène, attirer les regards, j’aurais choisi un autre instrument. Mais ce n’est pas ce que je veux.

Ça va même plus loin que ça : vous accordez plus d’importance à l’ensemble qu’aux passages solo.

Je crois que c’est de ma faute : j’essaie de trouver le ton qui nous va le mieux, quel va être le concept du groupe. J’avais des idées conceptuelles assez fortes depuis le début, je ne voulais pas que nous faisions de la branlette jazz, je voulais que le groove et que la texture prennent une place importante, je préférais les solos courts et concis, comme dans la pop. Une fois qu’on a eu établi ça, c’est devenu un leitmotiv pour les autres aussi. On s’est rendu compte que ça avait plus de sens que 15 minutes de branlette. Maintenant, c’est un fait accompli : ça marche. J’ai posé les bases, mais tout le monde l’a compris et l’a intégré.

Snarky Puppy 2013

Michael League (New Morning 2013)

Ta position de leader ne frustre pas les autres ?

Non ! La seule frustration, c’est quand je ne dirige pas assez. On peux me dire « il y a vraiment trop d’opinions là, c’est à toi de trancher ». La plupart des gars ont leur propre groupe, ils se retrouvent aussi à des moments où ils peuvent dire aux autre quoi faire. Et mon songwriting créé le son du groupe, je crois qu’ils respectent ça. Quand ils écrivent pour le groupe, ils le font de manière à ce que ça fonctionne soniquement. Je crois que dans ce sens, les autres membres me respectent. Je ne crois pas que quiconque soit frustré ou considère que sa créativité est étouffée. Je pense qu’ils aiment le fait qu’ils peuvent faire ce qu’ils veulent dans ce groupe.

Vous avez enregistré Sylva live, comme pour le précédent disque. Vous êtes plus à l’aise avec ce mode de fonctionnement ?

Oui, ça nous permet d’abandonner la possibilité de perfection. On a une opportunité : il faut jouer et on ne pourra pas retoucher. Il y aura des erreurs et on l’accepte. Donc on ne se soucie pas des erreurs. On se soucie de l’ambiance, des vibrations. Donc on joue pour les vibrations, pas pour la perfection. En studio, à force de tout vouloir faire parfaitement, on y parvient, mais il n’y a aucune âme. Je préfère cette manière, elle est plus naturelle, plus organique.

Donc, vous ne passez plus par la case enregistrement studio séparés ?

Je n’en sais rien. J’adore le studio ! Je produis des disques pour d’autres artistes avec qui on enregistre de manière traditionnelle et j’adore ça. Pour mon groupe, je trouve que l’enregistrement live marche mieux, mais on pourrait y revenir.

Comment as-tu vécu le fait d’enregistrer avec un orchestre ?

Ça donne le sentiment d’avoir vraiment une puissance derrière soi. Il y a une vrai émulation et il faut saisir l’instant, savoir utiliser le temps. Un orchestre peut sonner de manière énorme si on lui donne un espace où il se sent un peu à l’étroit. Créer ce contraste dynamique a été la partie la plus amusante pour moi. Je voulais amener des sons différents et d’autres facettes de l’instrumentation. Le Metropole Orkest était le seul orchestre au monde auquel je pouvais penser pour ce projet. Il a été conçu pour jouer ce genre de musique, car il groove.

Quels ont été les rapports entre les musiciens de l’orchestre et ceux du groupe ? Il y a parfois des tensions entre les musiciens classique et les musiciens de musique moderne.

C’était l’exact opposé. Tout le monde s’entendait très bien, ça a été très simple. Le chef d’orchestre était super cool. Il vient du classique, mais il n’en a pas les clichés. Il a juste quatre ans de plus que moi. L’orchestre est habitué à ce genre d’exercice, il a déjà joué avec Chaka Khan, Elvis Costello… et puis ils sont Allemands, donc il sont cool, ils ne bavassent pas. Il font de leur mieux pour mettre à exécution ce qu’on leur demande. C’est comme ça que ça doit se passer : pas de complaintes, pas de « c’est trop compliqué » ou de « ce n’est pas comme ça qu’on fait dans un orchestre ».  Le chef d’orchestre faisait en sorte que ses musiciens soient raccord avec nous. Ça m’a donné envie de monter un orchestre. Si je pouvais, je travaillerais avec un orchestre tout le temps. Si j’arrivais à monter un orchestre en tenant compte de la personnalité de chacun, en choisissant les bonnes personnes, je pourrais vraiment faire quelque chose qu’on n’a jamais entendu auparavant.

Snarky Puppy a un côté orchestre.

On est beaucoup dans Snarky Puppy, mais nous ne sommes pas 52 ! Sur scène, on n’est jamais plus de 14. On n’a pas la même puissance. On ne peut pas être tous sur scène, ce serait trop. Au delà de trois claviers, c’est trop. À quatre, ça deviendrait brouillon, quel que soit le musicien derrière, c’est juste une question de configuration. Pareil, trois guitares, c’est le nombre magique, on peut monter à six ou huit cuivres, pas plus de deux batteurs. Au delà de 21 ou 25 personnes, tout le monde est limité. Le meilleur chiffre est entre neuf et quatorze.

Snarky Nice 2

Quand on écoute le nouvel album, on sent vite qu’il a quelque chose de très cinématographique. Et tu as également expliqué qu’il t’était inspiré par la forêt.

À la base, je devais faire un disque pour une chanteuse. Elle devait chanter avec un batteur et un orchestre. Elle voulait que le groupe s’appelle Dark Woods Orchestra, c’était un nom cool, ça m’a évoqué beaucoup de choses. Donc j’ai écris ce disque pour elle et puis finalement on ne l’a jamais fait. Un des morceaux du disque, « Gretel », avait été écrit pour elle, ça devait être le morceau d’ouverture. Il parle de deux enfants perdus dans une forêt pleine de choses dangereuses. Ces images étaient vraiment fortes dans ma tête, quelque chose dans mon cerveau a directement connecté avec le son d’un orchestre. Et avec celui que j’ai choisi.J’ai du changer plusieurs instruments, j’ai ajouté des cuivres, j’en ai enlevé d’autres… J’avais cette image de la forêt, j’ai écris un autre titre en pensant à une autre forêt dans laquelle j’avais été. J’ai ensuite décidé de faire pareil pour les autres : choisir une forêt dans laquelle j’étais allé et écrire à ce propos.

« The Clearing » est vraiment un excellent morceau, très narratif, très nuancé, comment avez-vous travaillé ce titre ?

J’avais écrit l’intro à la guitare, en chantant la mélodie. Puis je ne trouvais pas la suite. J’ai alors décidé de ne plus y penser et de m’amuser à la guitare, j’ai trouvé quelque chose que j’ai pensé pouvoir exploiter un jour pour un nouveau titre. Le lendemain, j’ai écouté ce que j’avais enregistré et je me suis rendu compte qu’en adaptant la tonalité, les deux choses allaient ensemble. Quand j’étais au lycée, il y avait une clairière au milieu d’une forêt, c’est là où se rendaient les mauvais gamins, pour fumer et boire, écouter de la musique et faire des trucs avec leurs copines. C’était l’endroit où on pouvait faire ce qu’on voulait. J’ai voulu en quelques sortes résumer ma puberté dans ce morceau. Des émotions profondes mélangée à des trucs un peu fous. L’orchestre est dingue, il joue d’une manière que je n’ai jamais entendue avant.

Es-tu intéressé par les sonorités plus électro ?

J’adore Squarepusher, j’adore Aphex Twin, j’aime ces mecs. Mais pas ce qui passe à la télé ou à la radio. C’est un genre qui a énormément de potentiel, mais où il y a beaucoup de trucs très mauvais. J’aimerais faire des choses… On voulait faire un album house, mais entièrement live. Je voudrais le faire, mais pas juste histoire de dire que je l’ai fait, il me faut un concept, que j’ai des choses à dire. Comme pour ce disque. Mais oui, c’est vraiment le genre le plus intéressant en ce moment, mais ce qui se passe est déprimant : la perception du public sur ce que font certains artistes et ce qu’il font vraiment… Le fossé est si vaste. Où sont les mecs comme DJ Master Mike ? Pourquoi l’industrie ne travaille plus avec ces gens-là ? C’est la raison pour laquelle nous avons mis 10 ans à signer avec un label. J’ai l’impression que les mentalités sont en train de changer cela dit, et qu’on se rend compte que la bonne musique aussi peut rapporter de l’argent.

Propos recueillis par Noé Termine. Photo d’ouverture : Stella K.

Snarky Puppy & Metropole Orkest Sylva (Impulse!/Decca/Universal). CD/DVD disponible. En concert à Paris (L’Olympia) le 7 mai et au festival Jazz à Coutances le 8.

1 Commentaire

  • Kou wa? Que lis-je? Snarky Puppy sans Michael League!!!! Je n’arrive juste pas à le concevoir. Il a, sans surprise, un tas d’idées et de collaborations en tête et ne manquera sûrement pas de nous surprendre à l’avenir. Et quand est-ce qu’il fait une bande originale? Ça aurait été intéressant de lui demander sur quel type de film il aimerait travailler ou quel genre l’inspirerait le plus.
    En attendant, in va le voir avec ses copains et les 50 Hollandais à l’Olympia pour ce qui s’annonce déjà comme un concert d’anthologie!