Interview

Femi Kuti « Je ne suis pas mon père »

Femi Kuti, ainé des fils de Fela Kuti, est à Paris pour présenter son (très bon) nouvel album No Place For My Dream (Naïve). Quelques jours avant son passage au Bataclan, nous l’avons retrouvé dans un immense hôtel de la Défense pour échanger quelques mots sur les liens que les porte-étendards de l’afrobeat pouvaient entretenir avec les musiques noires américaines.

Funk★U : Quel est l’impact de l’afrobeat sur la musique moderne ?

Femi Kuti : Personne ne peux passer à côté de l’afrobeat. Paul Simon, John Lennon, Miles Davis, Stevie Wonder, Jay-Z, Beyoncé, Swift, Common… tout le monde a écouté de l’afrobeat. L’afrobeat n’est pas mainstream, mais tous les artistes mainstream ont été inspirés par ce style Le hip-hop a été influencé par l’afrobeat – Wyclef Jean écoutait de l’afrobeat, et tout le monde en a samplé, pendant des décennies.

L’afrobeat a des sonorités funk, quelle a été l’influence de James Brown sur la musique de votre père ?

Il ne s’est pas inspiré de James Brown, c’était plus une compétition. Il avait vu James Brown et il s’est dit qu’il pouvait faire quelque chose de meilleur, il n’a rien pris de James Brown. James Brown était un nom important et il ne comprenait pas pourquoi. Il a écouté ce que James jouait, pour voir ce qu’il y a avait de si spécial. James Brown répétait « take it to the bridge » et lui sortait ça comme une blague. Quand on compare la progression dans le travail de mon père et la manière dont James Brown a évolué dans le même temps, James Brown était monotone, d’une certaine manière. Il y a eu beaucoup de variations dans l’afrobeat, dans les mélodies, dans les rythmes de batterie, les riffs de guitare… c’était comme jouer au poker. James Brown s’est dit qu’il avait de meilleures cartes, mais quand vous écoutez les commentaires de ses musiciens quand ils ont vu mon père en 1977 : ils pensaient qu’ils étaient les meilleurs et ils ont trouvé meilleur qu’eux. Mon père disait que ça avait énervé James Brown, et qu’il sentait qu’il l’enviait. Il disait d’écouter la manière dont James Brown avait changé son son pour sonner plus comme lui. Mais personne ne connaît cette histoire. C’est comme pour Tony Allen ; mon père l’a trouvé et lui a dit  : « c’est mon rythme de batterie, joue-le », mon père a créé l’afrobeat, a créé le son. Pourquoi a-t-il attendu que mon père soit mort pour dire qu’ils l’avaient inventé ensemble ? Pour qu’il ne puisse pas se défendre. Oui, Tony Allen a été son batteur pendant longtemps, mais il n’a pas créé l’afrobeat.

Quels groupes écoutez-vous aujourd’hui ?

Aucun. Je n’écoute rien, je joue, six heures par jour. Je travaille la trompette en ce moment. Je veux changer radicalement, j’ai besoin de chercher tout le temps mon but. Je n’ai pas écouté de musique depuis 1999. Mais si on me demande ce que j’aime écouter, j’aime le jazz. Miles Davis, John Coltrane et Charlie Parker. Ils m’ont beaucoup inspiré. Sketches of Spain, de Miles Davis et Gil Evans, est mon album préféré. Le jazz a beaucoup apporté à ma musique. J’aurai pu arrêter à cause de Charlie Parker, il m’impressionnait alors que j’étais arrogant et qu’on me disait que j’étais très bon. Je suis heureux d’avoir eu le courage de continuer. Je ne peux pas être mon père, ni Dizzy Gilespie, ni Charlie Parker, mais je peux être Femi Kuti.

Hervé Salters (General Elektriks) joue sur votre album, comment l’avez-vous rencontré ?

C’est un ami de Sodi (producteur qui a travaillé avec Chinese Man, IAM, Fela Kuti, ndr). Il est venu remplacer mon clavieriste pour un concert au Brésil. Il est très bon avec les sons, il est fantastique. C’est devenu un ami via Sodi, c’est souvent que ça se passe ainsi. Hervé est le seul musicien extérieur à Positive Force (le groupe de Femi) a avoir joué sur l’album. Je voulais vraiment un disque qui soit de moi, mais j’ai pensé qu’Hervé pouvait créer de bon effets sonores pour moi, donc c’était important de l’avoir, pour le côté moderne du son, il a ce côté frais.

Bootsy Collins a dit « funk is the happy blues ». Que serait l’afrobeat ?

L’afrobeat représente le beat objectif et réaliste, sans compromis.

Propos recueillis par Noé Termine

Femi Kuti No Place For My Dream (Naïve). Disponible le 22 avril.