
Vidéo : “Naissance d’un héros noir au cinéma : Sweet Sweetback“ (Arte, 2022)
Réalisé par Catherine Bernstein et Martine Delumeau (et narré par la voix par Sandra Nkaké), le documentaire Naissance d’un héros noir au cinéma : Sweet Sweetback est actuellement disponible sur Arte.TV
Detroit, le 31 mars 1971. Une foule jeune et noire se presse devant le cinéma Grand Circus, une affluence inhabituelle pour un film indépendant classé X au titre bizarre, Sweet Sweetback’s Baadasssss Song. Ébahi et ravi, le public découvre un héros noir en révolte contre une Amérique raciste. Employé dans une maison close du ghetto de Watts, à Los Angeles, Sweetback a pris la tangente parce qu’il a défendu un Black Panther et assommé les policiers qui l’agressaient. “Le thème du film c’est : vous avez saigné mon père et ma mère, mais vous ne m’aurez pas“, résume posément Melvin Van Peebles. Le réalisateur n’en est pas à son coup d’essai. Après un exil fructueux en France, il est revenu aux États-Unis pour tourner Watermelon Man, comédie narquoise narrant les aventures d’un Blanc qui se réveille dans un corps noir et ne s’en trouve pas plus mal. Une fin progressiste intégrée au montage final au nez et à la barbe des studios.
Avec en main le journal de tournage au titre éponyme de Melvin Van Peebles, ses proches, notamment ses enfants et son petit-fils, en lisent des extraits et témoignent, replongeant dans l’épopée rocambolesque de ce film émancipateur qui remporta un succès phénoménal. Après avoir ouvert la voie à l’éphémère Blaxploitation, à travers une flopée de films à petit budget qui édulcorent son message politique, Sweet Sweetback… fera par la suite des émules plus combatifs (Spike Lee, John Singleton, Ava DuVernay…). Rempli d’archives qui immergent dans l’atmosphère libertaire et explosive des seventies, ce documentaire comporte aussi de nombreuses interviews de Melvin Van Peebles, où, flegmatique et direct, le cinéaste, disparu en 2021, raconte ses déboires, sa débrouille et assène quelques décapantes vérités.
Découvrez ci-dessous Naissance d’un héros noir au cinéma : Sweet Sweetback. A lire également : notre entretien avec Melvin Van Peebles.

Melvin Van Peebles : “Sweet Sweetback’s Badasssss Song est un film révolutionnaire”
Melvin Van Peebles, réalisateur de Sweet Sweetback’s Badasssss Song nous a quitté le 21 septembre à l’âge de 89 ans. En 2003, Funk★U rencontrait le cinéaste pionnier de la blaxploitation (bien qu’il s’en défende !). Archive.
★★★★★★★
Funk★U : Sweet Sweetback’s Badasssss Song est un film pionnier du cinéma noir militant, et aussi un film révolutionnaire dans son rapport entre l’image et le son. Comment avez-vous procédé ?
Melvin Van Peebles : C’est la première fois qu’on me pose cette question depuis toutes ces années. Pour moi, le son est une chose immense, primordiale, et à l’époque, le cinéma s’en servait très mal. C’est pour cette raison que le film s’appelle Sweet Sweetback’s Baadasssss Song. J’ai utilisé la musique et les paroles comme si je filmais un opéra. C’est même écrit sur la pochette de la BO : Sweetback : an opera.
Earth Wind & Fire a enregistré la BO de Sweetback. Comment les avez-vous déniché ?
Ma secrétaire couchait avec Maurice White, le leader d’Earth Wind & Fire. Ils n’avaient encore rien enregistré à l’époque. J’ai écrit toute la musique du film, puis je suis allé voir Maurice. Je lui ai donné des instructions, je lui ai donné les tempos, je lui ai montré quelques roughs et je l’ai laissé improviser sur les images. Si je suis moi-même musicien ? Les mauvaises langues disent que non, mais moi je dis oui (rires) !
Combien de temps de tournage et de montage avez-vous passé sur Sweetback ?
Le tournage a duré 19 jours, le montage sept mois. J’ai monté Sweetback sur une Moviola. Je trouvais ça très con qu’un type prenne une pellicule et la retravaille sans arrêt. J’ai donc décidé d’utiliser un nouveau procédé. J’ai relié trois Moviolas que je pouvais visionner simultanément. Ca m’a beaucoup aidé pour les surimpressions.
Le DVD de Sweetback bénéficie d’un mixage 5.1. Avez-vous participé à ce remix ?
Bien sur ! Les effets sonores sont très importants dans Sweetback. Par exemple, lors de la scène ou un personnage est rendu sourd par un coup de feu. Maintenant c’est comme l’original. Au moment du tournage de Watermelon Man (comédie musicale réalisée par Van Peebles en 1970, ndr.), Columbia a construit une nouvelle salle de projection avec un écran gigantesque. Mais ils n’ont même pas touché aux enceintes ! Le mépris du son était choquant à cette époque.
La BO de Sweetback est sortie plusieurs semaines avant le film. Pourquoi ?
A Hollywood, quand on produisait une comédie musicale à gros budget, la BO sortait deux mois plus tard. J’ai eu l’idée de sortir la BO avant le film. Les journaux tenus par les blancs n’ont pas voulu en parler, mais, les DJs noirs en ont fait un tube sur les radios. Quelques mois plus tard, la MGM est allée voir Stax, qui avait sorti la BO de Sweetback, pour enregistrer la bande-son de leur prochain film, Shaft. Isaac Hayes avait déjà un nom, mais il est devenu une vraie star avec la BO.
Quel regard portez-vous sur la blaxploitation ?
Les gens font la confusion en affirmant que Sweetback est un film de blaxploitation. Ce n’en est pas un du tout. Mais tous ceux qui ont suivi sont mes enfants illégitimes. Si on analyse son message politique, Sweetback est un film révolutionnaire. Les autres sont contre-révolutionaires. Au départ, Shaft était un détective blanc. Après le succès de Sweetback, il est devenu noir. Et si tu regardes bien, tous les héros des films comme Shaft ont un patron blanc. « Ils peuvent faire les marioles avec leurs chapeaux et leurs fringues à la mode, mais le pouvoir reste entre nos mains ». Ils ont retiré le côté politique de ces films pour y mettre du style vestimentaire à la place.
Une dernière question…
La fille d’hier soir ? Je ne savais pas qu’elle avait 16 ans (rires) !
Est-ce un vrai lézard que vous mangez dans une des dernières scènes de Sweetback ?
Je ne parlerai pas de certaines choses. Je ne répondrai pas à cette question, et je ne donnerai pas non plus le nom de l’actrice qui m’a refilé la vérole sur le tournage.
Propos recueillis par Christophe Geudin