Album Chroniques

Prince « Sign Of The Times Super Deluxe »

Sept mois séparent la première version de « Witness 4 the Prosecution » et sa deuxième lecture. Dans sa proposition initiale, un furieux rock Hendrixien enregistré live est interprété collectivement par un groupe réuni en studio. La seconde est un exercice solo 100% synthétique, uniquement porté par une voix, des programmations de claviers et le saxophone d’Eric Leeds. Entre les deux, Prince a dissous The Revolution pour s’embarquer dans l’aventure autocratique qui donnera naissance au légendaire Sign of The Times.

L’édition Super Deluxe du magnum opus de 1987 capture cette passionnante phase de mutation avec 47 titres inédits. Réparties sur 3-CDs et présentées de manière chronologique, ces excavations du fameux Vaut compilent les plages « perdues » de The Dream Factory, formidable essai pop-funk avorté dominé par l’aura de Wendy & Lisa, de Crystal Ball, la première configuration triple-LP de Sign of The Times, des chansons de Camille, l’alter-ego à la voix pitchée, et divers projets avortés, dont la tentative de comédie musicale The Dawn et une sélection de titres écrits pour des tiers, parmi lesquels Miles Davis, Sheila E., Joni Mitchell et Bonnie Raitt. Au-delà des titres studio mixés et prêts pour diffusion, on trouve aussi des prises alternatives d’extraits de Sign of The Times, des edits de répétitions (« And That Says What », « It Ain’t Over ’Til The Fat Lady Sings », « Soul Psychodelicide » par le line-up cuivré de The Revolution) et des versions extended jamais parues (« Wonderful Day » et un anecdotique Club Mix de Shep Pettibone pour « Strange Relationship »).

Le premier des trois volumes de cette offre pléthorique est marqué du sceau de Wendy Melvoin et Lisa Coleman, à la manœuvre sur l’extravagance Beatlesienne « All My Dreams », l’exercice Paisley Underground « Teacher Teacher », la valse-comptine « A Place in Heaven », les interludes instrumentaux « Visions » et « Colors », le carnavalesque « In a Large Room With No Light », la version psychédélisante de « Strange Relationship » – présentée pour la première fois dans son intégralité – et une fascinante prise inédite de « Power Fantastic », introduite par les instructions du maestro (« Ça ne sera peut-être pas la bonne, mais jouez ce que vous voulez et prenez du bon temps… »). Avec « Can I Play With U ? », témoignage superlatif de la rencontre au sommet avec Miles Davis période Tutu et le prototype synth-pop d’« I Could Never Take the Place of Your Man » gravé en 1979, ces classiques bien connus des collectionneurs constituent le meilleur d’un premier CD où les hits éclipsent quelques misses, à l’image d’un « Love and Sex » saturé et brouillon destiné à Sheila E. De même, « The Ballad of Dorothy Parker (With Horns) » est entravé par le saxophone intrusif d’Eric Leeds, tandis qu’une version 45-tours du labyrinthique « Crystal Ball », tronçonné à 3 minutes 30, fait figure de sévère coitus interruptus.

Désormais attribués à Sony Music, les droits d’utilisation d’une des plus légendaires créations Princières privent également l’auditeur d’autres extraits du coffret Crystal Ball paru officiellement en 1998, dont les incontournables « Movie Star », « Sexual Suicide » et « Last Heart ». Cette obligation contractuelle laisse toutefois place à une nouvelle série d’inédits de cette même période. Parmi les raretés du deuxième disque issu du Vault, les trois extraits de la comédie musicale avortée The Dawn alignent la somptueuse ballade « Crucial », dans un mix alternatif incluant les cordes de Clare Fisher, l’electro-funk glacé de « The Cocoa Boys » et l’uptempo « When The Dawn of the Morning Comes », qui préfigure à sa manière le frénétique « Trust » de la BO de Batman. Sont également alignés « The Ball », modèle go-go du « Eye Know » de Lovesexy, « Everybody Want What They Don’t Got », épatante miniature pop sous influence Fab Four, « Blanche », une 5QCDPR045jam Stonienne improvisée au Sunset Sound Studio, et l’élégant mid-tempo funky « It Be’s Like That Sometimes ». En milieu de parcours, la prise alternative de « Forever in My Life (Early Vocal Studio Run-Through) » définit un des sommets incontestables du coffret. Ici, le gospel electro minimaliste de Sign of The Times se pare d’un arrangement complet, avec guitare, basse, batterie et claviers pour une merveille mélodique digne des grandes ballades solos de Paul McCartney.
Moins satisfaisant dans son ensemble, le troisième et dernier volume d’inédits s’ouvre par un double-punch avec le funk laidback d’« Emotional Pump », offert de manière incongrue et finalement décliné par Joni Mitchell, et l’electro-rock abrasif de « Rebirth of the Flesh ». « Wally », la V2 opératique d’un grand titre perdu, et le gospel exubérant de « Walkin’ In Glory » tempèrent le quatuor de compositions anodines écrites pour Vanity 6 et adressées à Bonnie Raitt, qui les rejettera poliment (un « I Need a Man » astucieusement cuivré, « Jealous Girl » (version 2), « Promise To Be True » et le simili-reggae « There’s Something I Like About Your Fool »).

Occasionnellement en pilotage automatique, voire débordé par la gauche par son trop-plein créatif, Prince évolue entre fulgurances géniales, expérimentations multi-genres fascinantes et bon grain et ivraie dans cette généreuse somme parcourant les années 1985-1987. Il s’avère surtout un remarquable éditeur dont les choix judicieux ont permis d’aboutir à la réussite artistique totale de Sign of The Times. Présenté pour la première fois en version remasterisée*, l’album original est également augmenté dans son édition Super Deluxe par un disque de faces-B et de versions maxi, et surtout d’un concert donné en plein air au Stade de Galgenwaard d’Utrecht le 20 juin 1987. À l’instar de sa prise alternative proposée dans la sélection d’inédits studio, l’interprétation live de « Forever In My Life » est le point culminant d’un show dynamique et d’excellente facture, à l’image d’une tournée exemplaire érigée au rang de mythe. Durant plus de 13 minutes, Prince embarque 15000 bataves dans de longues improvisations folk-bluesy, avant de baisser le rideau sur un foudroyant « It’s Gonna Be a Beautiful Night », point final du versant audio d’un édifice (presque) à la hauteur de son illustre double-pilier central.

* Le lien d’écoute fourni par Warner Records ne permet pas de juger la qualité audiophile de ce nouveau remaster. De même, la vidéo du concert de Paisley Park du 31 décembre 1987 n’a pas été disponible en preview.

Prince Sign of the Times Super Deluxe (Warner Records)****. Sortie le 25 septembre en éditions Super Deluxe (8CD+DVD / 13LP+DVD / téléchargement et streaming des titres audio), Deluxe (3CD / 4LP 180-grammes / téléchargement et streaming) et album remasterisé (2CD / 2LP 180-grammes couleur pêche/ téléchargement et streaming).