Sortie phare de l’édition 2015 du Disquaire Day dans la catégorie soul/funk, le double vinyl-only retraçant les concerts de Sly and the Family Stone au Fillmore East de New York en octobre 1968 est enfin disponible au terme d’une longue suite de contretemps industriels. Il y 47 ans (mince !), Epic Records, le label abritant les exploits sixties de Sylvester Stewart et sa famille reconstituée, avait songé à publier cet exceptionnel témoignage scénique illustrant à point nommé l’extraordinaire dynamique des Pierrafeu du funk. À l’époque, la carrière de Sly and the Family Stone est encore fluctuante, et de surcroît écrasée par le succès du single « Dance to the Music » au détriment des trois premiers albums de la formation. Life !, paru quelques semaines en amont des concerts du Fillmore, n’atteint pas les cimes commerciales espérées par le label, qui songe alors à exploiter les bandes en public captées dans la salle de concert New-yorkaise de Bill Graham. Le succès inattendu du double-single « Everyday People/Sing a Simple Song », paru en novembre 1968, changera la donne à la veille du triomphe Woodstockien de Stand !, le pic commercial et artistique de Sly and the Family Stone. En 2006, la parution en CD de ce concert resté dans les étagères de Sony Music avait été discrètement annoncée en interne avant d’être retirée des prévisions de sortie. Presque simultanément, un bootleg soundboard à la qualité sonore cristalline effectuait son apparition sur le marché parallèle. Coïncidence ?
Avance rapide jusqu’en 2015 et la première sortie officielle de Live at the Fillmore East en double vinyle limité et coloré (un rouge et un vert). La pochette, straight from 1968, la mise en page vintage du gatefold et l’objet dans son ensemble sont superbes. Le son – largement supérieur à celui du Live Power Peace de James Brown paru l’an dernier – traduit idéalement l’expressivité scénique d’une formation propulsée par la défenestrante section rythmique Larry Graham/Gregg Errico et les cuivres enthousiastes de Jerry Martini et Cynthia Robinson. Les douze titres extraits des quatre shows donnée au Fillmore ont été sélectionnés par « Captain » Kirk Douglas, le guitariste à iroquoise des Roots. On peut remercier ce dernier pour cette fascinante playlist live alternant classiques de la première période (version exubérantes de « M’Lady », « Are You Ready » et « Dance to the Music ») et raretés méconnues, dont l’ébouriffant « Won’t Be Long », basé sur un titre de J. Leslie McFarland repris par Aretha Franklin en 1960 et surtout « We Love All (Freedom) », titre bonus de l’édition CD 2007 de Dance to the Music et intense jam acid-rock où la guitare fuzz Hendrixienne de Freddie Stewart anticipe l’arrivée imminente de Funkadelic. En leader maximo du groove colourblind, Sly Stone conduit son groupe et le public du Fillmore East aux confins du gospel, du doo-wop, de la soul extatique, du rock électrique et au bord de la transe collective au cours d’un insensé « Music Lover » qu’il ne manquera pas de rééditer l’année suivante lors du festival de Woodstock. Une performance d’exception au service d’un LP déjà collector, mais les retardataires auront l’occasion de se rattraper avec la version intégrale 4-CDs de ces concerts historiques disponible le 17 juillet prochain.
Jacques Trémolin
Sly and the Family Stone Live at the Fillmore East (Sony Legacy). Double LP édité dans le cadre du Disquaire day 2015.